Malgré son doctorat de Harvard et ses états de service dans l'administration Clinton, Nouriel Roubini était presque devenu un paria dans le club sélect des grands économistes américains.

Ses collègues lui reprochaient son pessimisme et sa tendance à tout voir en noir. Ainsi, quand le professeur de l'Université de New York a annoncé qu'une grave récession frapperait bientôt les États-Unis lors d'un discours devant le Fonds monétaire international, en septembre 2006, il a eu droit aux moqueries habituelles de ses collègues.

 

Une crise à Wall Street, un plongeon des marchés boursiers et une grave récession plus tard, Nouriel Roubini n'est plus un paria parmi les siens. Celui qui est surnommé le Dr Fataliste est maintenant l'un des économistes les plus en respectés au monde. Tout le monde - des banques centrales asiatiques aux réseaux de télévision américains - s'arrache celui qui a prédit la crise économique actuelle.

Hier soir, l'économiste de 50 ans était de passage à Toronto, où il était la grande vedette d'une soirée organisée par la firme Sprott Assett Management dans un théâtre huppé de la Ville reine. Le titre de la soirée: A Night with the Bears. Traduction libre: une soirée avec les pessimistes, l'ours symbolisant la prudence et le pessimisme sur les marchés boursiers.

Les pronostics économiques qu'il a partagés avec son auditoire torontois sont tout sauf réconfortants. «L'économie canadienne a des bases solides, dit-il. Les banques canadiennes sont meilleures que les banques américaines. Mais quand les États-Unis toussent, le Canada attrape la grippe, dit-il. Dans ce cas-ci, le Canada a attrapé une véritable pneumonie. La reprise sera douloureuse, mais le temps permet de réparer les blessures.»

Nouriel Roubini n'est guère plus optimiste pour l'économie américaine, qu'il voit toujours en récession et aux prises avec un taux de chômage de 10% à la fin de l'année. Il doute aussi de certains aspects du plan de sauvetage de Wall Street concocté par son ancien collègue au sein de l'administration Clinton, le secrétaire au Trésor Timothy Geithner. «Nous ne devons pas nous retrouver avec des banques zombies, comme ce fut le cas au Japon il y a quelques années», dit-il.

Malgré les applaudissements nourris de son auditoire torontois hier soir, les succès de Nouriel Roubini - un Turc d'origine iranienne ayant grandi en Italie avant d'atterrir à Harvard pour faire son doctorat - ne font pas l'unanimité parmi les économistes. Au nombre de ses détracteurs: son rival new-yorkais Anirvan Banerji, le même économiste qui l'avait fortement critiqué après son fameux discours devant le FMI en 2006. Ce dernier fait remarquer que Nouriel Roubini avait prédit que la crise économique éclaterait trois ans plus tôt, en 2005. «Même une horloge qui ne fonctionne plus donne l'heure juste au moins deux fois par jour», dit Anirvan Banerji.

Qu'importe: le milieu financier a adopté Nouriel Roubini, aussi déprimant soit-il à écouter. À ses détracteurs, le principal intéressé aime rappeler qu'il n'est pas aussi alarmiste que sa réputation et son surnom du Dr Fataliste peuvent le suggérer. «Je ne suis pas un éternel pessimiste, je suis plutôt un réaliste, dit Nouriel Roubini. Quand je verrai des indicateurs économiques qui sont positifs, je redeviendrai optimiste. Je crois toutefois que ce sera plus tard que tôt.»