C'est une aventure passée sous les feux de la rampe à Broadway et à Londres, il y a 15 ans, qui se terminera bientôt en prison.

Mais surtout, l'aboutissement de la plus grosse fraude comptable et boursière au Canada, évaluée à 500 millions de dollars, qui ait été jugée jusqu'à maintenant devant une cour criminelle, après des années d'enquête policière.

 

Telles sont les premières conséquences du verdict de culpabilité rendu hier à Toronto contre Garth Drabinsky et Myron Gottlieb, les cofondateurs de la firme de production Livent, aujourd'hui défunte en dépit d'un épisode spectaculaire durant les années 1990.

Le verdict très attendu dans les milieux culturels et boursiers à Toronto a été rendu au terme d'un procès d'un devant juge seul.

Les sentences suivront le 8 avril. Et à moins de procédures d'appel, des deux condamnés âgés de 58 et de 64 ans risquent de passer les 10 prochaines années derrière les barreaux.

Mais déjà, le verdict s'avère historique pour les enquêteurs de police en crime économique, en particulier ceux de la GRC.

D'autant que leur feuille de route jusqu'à maintenant était plutôt décevante.

Certains leur reprochent l'absence d'accusations criminelles à propos des manipulations comptables chez Nortel, de même qu'à l'endroit de Conrad Black, qui a été plutôt accusé, condamné et emprisonné par les autorités américaines.

Aussi, la plus grosse fraude boursière à ce jour au Canada, celle de Bre-X et son faux gisement d'or géant en Indonésie, n'a jamais produit d'accusation criminelle.

Mais hier, avec la condamnation des ex-patrons de Livent, l'escouade des crimes économiques de la GRC a confirmé son premier gros «trophée de chasse» à ce jour.

«Cette condamnation au criminel d'une fraude comptable d'une telle ampleur chez Livent est une réussite importante pour les autorités judiciaires et les enquêteurs en crime économique au Canada», constate Éric Downs, avocat criminaliste à Montréal. Il a notamment agi dans des dossiers de fraudes notoires comme celle des fonds Norbourg.

Chez Livent, il faudra attendre les sentences des condamnés Drabinsky et Gottlied pour constater toute la portée d'un verdict sans précédent dans les annales du crime financier au Canada.

Par ailleurs, des experts comme M. Downs soulignent que les méthodes d'enquête des limiers financiers, même allongées sur quatre ans pour Livent, semblent gagner de plus en plus d'efficacité.

«Le fardeau de la preuve pour des accusations de fraude comptable et boursière est lourd et très complexe à constituer, a souligné le criminaliste. Avoir des preuves documentaires de fraude comptable ne suffit pas. Les enquêteurs doivent reconstituer tous les liens entre ces documents et les divers individus soupçonnés. Et pour y parvenir, ils fonctionnent comme dans le cas des enquêtes contre le crime organisé. Ça leur prend un ou des délateurs de l'interne pour être principal témoin à charge en cour, en échange de peine réduite s'ils font aussi face à des accusations.»

Chez Livent, c'est le principal adjoint financier des cofondateurs accusés, Gordon Eckstein, qui a servi de principal témoin à charge pour les accusations.

M. Eckstein a déjà plaidé coupable il y a deux ans à une accusation de fraude. Mais en échange de sa collaboration, il a obtenu une peine conditionnelle réduite à deux ans d'emprisonnement.

Entre-temps, la condamnation pour fraude des deux cofondateurs de Livent met fin à une aventure d'entrepreneuriat culturel qui fut, avant l'essor du Cirque du Soleil, d'une ampleur sans précédent au Canada.

En quelques années, au début des années 90, Livent était passée d'un petit exploitant de salles de cinéma reprises de Cineplex Odeon jusqu'au statut de l'un des plus gros producteurs de comédies musicales anglophones, avec des spectacles à Toronto, Chicago, Broadway et Londres.

Parmi ses productions, on a noté Phantom of the Opera (Fantôme de l'opéra), qui a tenu l'affiche à guichets fermés pendant des années à Toronto.

Livent fut aussi derrière des productions multimillionnaires comme Showboat, Ragtime et Kiss of the Spider Woman.

En quelques années, Livent et ses codirigeants ont remporté 19 prix Tony sur Broadway.

Du côté financier, Livent s'était inscrite à la Bourse de Toronto en 1993, forte de l'intérêt des investisseurs à participer à sa vive ascension.

Mais à peine cinq ans plus tard, Livent et ses deux cofondateurs étaient soupçonnés de manipulation comptable. En quelques mois, à la fin de 1998, l'entreprise a dû recourir à la faillite.