Le Canada est-il en train de vivre le pire trimestre économique de son histoire récente?

C'est en tout cas ce que croient plusieurs économistes. Et la palme du pessimisme va à David Wolf, économiste en chef de Merrill Lynch Canada, qui croit que le pays vit une contraction de son économie -n'ajustez pas vos lunettes- de 9,1%.  

Le chiffre, qui est tombé comme une bombe hier matin, concerne le recul prévu du produit intérieur brut (PIB) réel au Canada pour le premier trimestre de 2009. Et le premier trimestre de 2009, c'est maintenant. Si ces prévisions s'avèrent exactes -on le saura dans quelques mois-, le pays vit actuellement le pire trimestre de son histoire depuis 1961, date à laquelle on a commencé à compiler ces données. Le chiffre pulvériserait le record précédent, soit le recul de 5,9% observé au premier trimestre de 1991.

 

Pessimiste, M. Wolf? «Nous avons systématiquement publié les prévisions économiques les plus pessimistes pour le Canada, admet-il. Mais tout au long de ce cycle, même si nous avons été plus pessimistes que le consensus, nous n'avons pas été assez pessimistes.»

 

Les reculs prévus pour le premier trimestre de 2009 sont de 6,3% chez Desjardins, de 4,8% à la Banque Laurentienne et entre 4 et 5% pour la Banque Nationale.

 

Son de cloche différent

«Il y a eu une implosion de l'économie mondiale au quatrième trimestre de 2008 due à l'assèchement du crédit. Dire qu'on va voir une compression de près de 10%, c'est dire que la situation ne s'est pas résorbée du tout depuis. Ce n'est pas notre hypothèse de travail», dit Stéfane Marion, économiste en chef à la Financière Banque Nationale.

 

M. Wolf réplique qu'à peu près tous les indicateurs économiques publiés récemment au Canada étaient « sous les attentes, et ce, même si les attentes avaient été révisées à la baisse ».

 

Le pays a essuyé 83 000 pertes d'emplois en février pendant que le taux de chômage grimpait de 7,2% à 7,7%. Les exportations ont chuté de 7% de janvier 2008 à janvier 2009, tandis que le marché immobilier connaissait sa sixième baisse consécutive le mois dernier. Des chiffres que l'économiste de Merrill Lynch qualifie de «hideux».

 

On apprenait aussi hier matin que les ventes de gros ont plongé de 4,2% en janvier, le deuxième déclin de l'histoire en importance. Le secteur de l'auto, avec sa chute de 22,9%, explique à lui seul 80% de la baisse. Mais des secteurs comme les matériaux de construction (-6,2%) continuent de faire les frais du ralentissement immobilier.

 

«Quand je regarde ces données, elles pointent clairement vers un ralentissement d'une ampleur qu'on n'a jamais vue», dit M. Wolf.

 

«Oui, le Canada a ses forces structurelles, continue M. Wolf. Mais il demeure est une petite économie ouverte basée sur les ressources naturelles, ce qui le rend hautement sensible aux conditions économiques mondiales. Il n'est pas raisonnable de penser que le Canada peut éviter significativement le déclin qu'on observe dans le monde.»

 

Rappelons que l'économie canadienne a reculé de 3,4% au quatrième trimestre de 2008, soit moins qu'aux États-Unis (-6,2%), que dans l'Union européenne (-5,9%) et qu'au Japon (-12,7%).

 

Benoit Durocher, économiste au Mouvement Desjardins, souligne toutefois que cette bonne performance relative est trompeuse. «Plus le trimestre avançait, plus ça se dégradait, dit-il. On a vraiment terminé l'année à genoux.»

 

L'économiste estime par exemple qu'en termes annualisés, le recul a atteint 11,04% en décembre.

 

«La réalité nous rattrape», dit M. Durocher, qui explique que le fait que le prix des matières premières soit demeuré à la hausse jusqu'à la moitié de l'année 2008 a contribué à retarder la crise au Canada.

 

Problème de stocks

L'autre préoccupation, ce sont les stocks. Les entrepôts des entreprises canadiennes contiennent toujours autant de marchandises, même si les ventes, elles, ont plongé. Résultat: le ratio des stocks par rapport aux ventes a atteint son plus haut niveau en 13 ans.

 

Pour David Wolf, de Merrill Lynch, ça veut dire une chose: les entreprises vont ralentir leur production pour écouler leurs stocks, ce qui ralentira encore l'activité économique.

La bonne nouvelle, c'est que si les économistes ne s'entendent pas sur l'ampleur du recul au premier trimestre, ils croient tous qu'il s'agira... du pire trimestre de la crise.