À l'instar de l'économie du Vieux Continent, l'industrie automobile européenne, sauf en Allemagne, reste coincée en marche arrière. En France, la situation est alarmante: les constructeurs sont au bord du précipice alors que patrons, gouvernements et syndiqués tardent à s'entendre sur un plan de relance crédible.

Le marché de l'automobile est retombé en panne en Europe, à l'image de l'économie du continent.

L'espoir d'une reprise, alimenté par un rebond des immatriculations de véhicules neufs en avril, aura été de courte durée: elles ont encore baissé en mai, soit de près de 6%, selon l'Association européenne des constructeurs automobiles.

Résultat: la demande européenne est à son plus bas depuis 1993. Vingt ans!

Même en Allemagne, premier marché du Vieux Continent, les ventes d'autos ont chuté de 9,9%, tandis que la baisse est de 10,4% en France et de 8% en Italie. Sur cinq mois, le bilan européen est décourageant, avec une baisse des ventes de 6,8%, pendant que les voitures américaines, elles, se vendent de plus en plus.

Même si des experts croient qu'on a touché le fond au printemps, la firme AlixPartners reste pessimiste et table sur «une stagnation du marché européen» à environ 12 millions de voitures par an... jusqu'en 2019, contre 16,8 millions avant la crise en 2007.

Ne reste que le haut de gamme qui tire péniblement le secteur. Les allemands Mercedes, BMW et Audi (encore eux) gagnent encore des parts de marché cette année.

Pas de boulot, pas d'auto

Cinq ans après l'éclatement de la crise financière, l'Europe essaie toujours de se remettre en marche alors que les États-Unis, d'où provient la tempête, sont passés en vitesse supérieure.

La consommation des Européens est en berne. Le chômage en zone euro a atteint un record de 12,2% en avril et près de 27 millions de travailleurs n'ont pas d'emploi. Trouver un boulot est devenu un cauchemar pour les jeunes - marché crucial pour l'automobile - qui s'exilent par milliers vers d'autres pays pour dénicher un gagne-pain.

Pareille conjoncture a évidemment des conséquences sur le monde de l'auto. Selon AlixPartners, 58 des 100 principales usines d'assemblage en Europe tournent à moins de 75% de leur capacité - le seuil généralement requis pour être rentable. Il y a un an, seulement 39 usines se trouvaient dans cette triste position.

Pour certains, toutes ces usines «dans le rouge» illustrent bien la différence entre Européens et Américains lorsque ceux-ci sont face à une crise: les premiers tergiversent en déplorant la situation qui se dégrade; les seconds prennent vite les grands moyens pour s'en sortir.

Ainsi, lorsque le «Big Three» - Ford, General Motors et Chrysler - vacillait au bord de la faillite en 2009, Washington a forcé GM et Chrysler à se restructurer. La cure de santé a certes été violente - avec 18 fermetures d'usines en six ans et des milliers de licenciements. Mais aujourd'hui, l'industrie est redevenue rentable, les ventes retrouvent le rythme des beaux jours et on exporte de plus en plus.

La crise française

De l'autre côté de l'Atlantique, on a l'impression de voir une belle voiture filer à vive allure vers un mur.

Un exemple, la France. Malgré des pertes colossales, le géant Renault exploite toujours trois usines dans l'Hexagone qui tournent à moins de la moitié de leur capacité, dont deux (Douai et Sandouville) sous les 40%!

Renault a bien tenté cet hiver de réduire ses coûts en fermant des chaînes de montage, mais le constructeur, détenu à 15% par le gouvernement français, a dû reculer devant les pressions syndicales et a gardé ses usines ouvertes, n'obtenant que le feu vert pour éliminer 7500 postes sur plusieurs années.

Son concurrent, PSA Peugeot, est carrément au bord de la faillite. L'entreprise lourdement déficitaire «brûle» 100 millions d'euros par mois pour rester en vie. Selon des médias européens, elle vient de demander à son partenaire américain GM (7% des actions) d'injecter d'urgence des capitaux dans la société.

La famille Peugeot (38% des actions) est même prête à céder le contrôle du groupe centenaire au géant américain... qui refuse ouvertement de monter dans ce bateau troué. Entre-temps, PSA tente de négocier des baisses de salaires avec ses travailleurs et voudrait éliminer 11 000 postes, ce qui est loin d'être acquis. Les experts doutent même que cela soit suffisant.

Des études indépendantes (AlixPartners et Roland Berger) montrent pourtant la voie vers une sortie de crise: le taux d'utilisation des usines françaises est trop faible, à 62% en moyenne, laissant environ 20% de capacité excédentaire. Il faut donc amputer un cinquième de l'industrie...

«Ce n'est qu'au prix de la réduction de cette surcapacité que les constructeurs français dégageront des bénéfices qui leur permettront d'investir», affirme Emmanuel Sartorius, auteur d'un important rapport sur PSA Peugeot.

Le temps presse, car l'auto européenne recule dangereusement vers un précipice. D'une manière ou l'autre, le choc sera violent.

40%

Pourcentage des usines européennes d'automobiles tournant à moins de 75% de leur capacité en 2011

58%

Pourcentage des usines ayant un taux d'utilisation inférieur à 75% en 2013