Les déboires de Toyota, contraint au rappel de 8,5 millions de véhicules dans le monde, portent un coup sévère à la réputation de fiabilité du constructeur automobile japonais et représentent un test sérieux pour le «toyotisme», modèle d'organisation alliant flexibilité et efficacité.

Chaînes de montage qui tournent comme des horloges, pièces qui arrivent juste à temps, ouvriers consciencieux formés à la détection de défauts, production de masse de voitures de qualité: telles sont les caractéristiques du modèle Toyota. Cela n'a toutefois pas suffi pour prévenir des problèmes qui ne sont pas liés à la phase de production en usine.

En fait, la direction de Toyota a échoué à mettre en pratique le credo qu'elle martèle depuis très longtemps à ses ouvriers, affirme Anand Sharma, directeur du cabinet conseil TBM Consulting Group, basé à Durham, en Caroline du Nord. «Les gestionnaires de Toyota n'ont pas répondu aux premiers signaux. C'est à ce moment-là qu'ils auraient dû identifier les causes (des problèmes)», précise M. Sharma, qui enseigne le toyotisme aux entreprises.

Depuis octobre, Toyota a rappelé 8,5 millions de véhicules dans le monde à cause de problèmes de pédale d'accélérateur, de système de freinage et de tapis de sol -un nombre record pour le constructeur nippon. Les défauts de pédale et de tapis sont des erreurs de conception tandis que le dysfonctionnement du système de freinage est lié à un problème informatique. Il ne s'agit pas d'erreurs de fabrication qui auraient pu être détectées par les ouvriers dans les usines.

Toyota reste le meilleur constructeur «en termes de gestion de la production», estime Michael Cusumano, professeur de l'école Sloan de management de l'Institut de technologie du Massachusetts. «Les ouvriers n'ont rien à voir» avec ces problèmes.

Le président de Toyota, Akio Toyoda, a reconnu dans une tribune publiée par le Washington Post la semaine dernière que son entreprise avait «échoué à faire le lien» entre le problème de pédale, apparu en Europe en décembre 2008, et le même dysfonctionnement aux États-Unis qui a entraîné un rappel massif de véhicules. En Europe, l'erreur avait été corrigée.

En principe, ce type de réparation lié à des plaintes de clients est communiqué au siège du constructeur pour permettre des vérifications dans d'autres régions du monde, selon le porte-parole de Toyota Europe, Colin Hensley. Alors que les voitures deviennent de plus en plus complexes et «informatisées», le risque que les contrôles de qualité traditionnels deviennent obsolètes augmente, selon les experts.

Il y a une différence entre le contrôle qualité dans la production, qui consiste à reproduire exactement le même produit encore et encore, et le fait de garantir la sécurité, souligne Steven McNeely, qui supervise les systèmes de gestion chez Jet Solutions, un transporteur basé au Texas. «La direction ne s'est pas concentrée sur l'évaluation des risques ou sur la gestion des risques», écrit-il dans un essai intitulé «Les leçons tirées de Toyota».

D'autres estiment que le constructeur japonais s'est éloigné du véritable modèle toyotiste, qui implique des tests rigoureux ou encore d'être à l'écoute des clients. «Toyota a été exemplaire pour trouver les problèmes dans l'usine et arrêter la production avant d'en arriver à une crise», souligne Jeffrey Liker, professeur d'ingénierie industrielle à l'université du Michigan, auteur de livres sur le toyotisme.

Le fait de ne pas avoir appliqué tous les principes du toyotisme «a conduit à cette crise», affirme-t-il. «Aujourd'hui le toyotisme est le seul moyen d'en sortir.»

Mis au point dans les années 1950 par l'ingénieur japonais Taiichi Ohno, le toyotisme est considéré comme un élément essentiel dans l'ascension de Toyota, qui a dépossédé en 2008 General Motors du titre de premier constructeur mondial. Ce modèle d'organisation a fait l'objet de nombreux ouvrages -louangeurs ou détracteurs- et a inspiré des concurrents comme Ford.

Fondé sur la volonté d'éliminer les gaspillages et l'accumulation de stocks, il s'appuie également sur le dévouement des employés. Aujourd'hui encore, des slogans placardés dans les usines Toyota au Japon exhortent les ouvriers au «kaizen», soit à trouver des innovations pour améliorer la productivité.