Le faux scandale d'espionnage chez Renault a fait chuter lundi le numéro deux du constructeur automobile français, le directeur général délégué Patrick Pélata, qui a démissionné au terme d'un conseil d'administration extraordinaire.

M. Pélata «a démissionné de son poste», a annoncé à l'AFP une source proche du dossier à l'issue de cette réunion, en précisant toutefois que le bras droit du PDG Carlos Ghosn «ne quitte pas le groupe».

Une annonce officielle devait être faite en fin d'après-midi, a dit Renault, qui s'est refusé à confirmer cette information dans l'immédiat.

Plusieurs autres responsables du groupe risquaient également de payer de leur poste l'accumulation de fautes commises par la direction dans l'affaire, pointées dans un rapport d'audit.

L'État, premier actionnaire avec 15% de Renault, avait donné le «la» dès lundi matin, la ministre de l'Économie Christine Lagarde affirmant que si des «fautes ont été commises, il faut que ceux qui en sont responsables s'en aillent dès lors que la faute le justifie».

Mme Lagarde avait précisé avoir «donné instruction» aux deux représentants de l'État au conseil d'administration «de soutenir les recommandations du comité d'audit» qui présentait ses conclusions aux administrateurs.

«L'audit aboutit à la conclusion que quatre personnes doivent être sanctionnées», a confirmé le ministre de l'Industrie Éric Besson à des journalistes en marge d'une réunion à Bercy, sans citer de noms.

Aucune tête n'était tombée à la direction du constructeur automobile depuis l'éclatement de l'affaire début janvier.

Mi-mars, Carlos Ghosn avait reconnu que le groupe avait accusé à tort trois cadres d'avoir monnayé des informations sur le programme phare des véhicules électriques. Mais il avait refusé à l'époque la démission de Patrick Pélata et avait lancé cet audit chargé de tirer les choses au clair.

Outre M. Pélata, les dirigeants les plus exposés étaient Rémi Pagnie, directeur de la sécurité chez Renault, dont les services ont mené l'enquête interne ayant conduit au licenciement à tort des cadres, et Christian Husson, le directeur juridique, a indiqué une source proche du dossier à l'AFP.

Éric Besson, qui a affiché depuis le début de l'affaire sa volonté de ne pas «déstabiliser davantage» Renault, a pour sa part laissé entendre à la mi-journée que Carlos Ghosn lui-même échapperait au couperet. «Ça (NDLR, un départ) n'est pas, je crois, ce que recommande l'audit», avait-il indiqué.

Le patron du constructeur «n'a été informé qu'à deux reprises: au moment de la réception de la lettre anonyme (dénonçant les cadres, NDLR) et au moment de leur mise à pied», selon la source proche du dossier.

Les administrateurs de Renault devaient aussi se pencher sur la délicate question des indemnités à verser aux salariés licenciés.

Michel Balthazard, Bertrand Rochette et Matthieu Tenenbaum demandent respectivement 3,2 millions, 3,4 millions et 2,4 millions d'euros de dommages pour préjudice moral, selon l'hebdomadaire Marianne. Un des avocats de M. Balthazard a démenti ces chiffres.

De telles sommes, ajoutées aux diverses indemnités de licenciement, feraient grimper la note à plus de 11 millions d'euros.

Les syndicats ont déjà fait savoir que ça n'était pas aux salariés de payer les pots cassés, mais aux responsables du fiasco.

Le PDG du groupe, qui a promis d'indemniser les cadres «à la hauteur du préjudice» subi, a renoncé, avec M. Pélata et «l'ensemble des cadres dirigeants impliqués» à leurs bonus pour 2010, soit 1,6 million d'euros pour le PDG, et à tout bénéfice de stock-options pour 2011.

Pour le ministre de l'Industrie, Renault devra régler la facture et «il serait logique» que ses responsables y contribuent, mais qu'il ne doit pas s'agir de «sommes astronomiques».

De l'espionnage à l'escroquerie: trois mois de scandale

Du roman noir d'espionnage à une sombre affaire d'escroquerie, voici les principales dates du scandale qui ébranle Renault depuis trois mois et qui a débouché notamment sur le départ du numéro deux du constructeur, Patrick Pélata:

- 3 janvier : Trois cadres de Renault sont mis à pied, soupçonnés d'avoir diffusé des informations touchant au programme phare de véhicules électriques.Révélée le 4 janvier par l'AFP, l'affaire est confirmée le lendemain par le groupe, qui évoque des «faits graves» découverts en interne en août 2010.

- 8 janvier : M. Pélata affirme que le constructeur est «victime d'une filière organisée internationale», mais refuse de confirmer une piste chinoise évoquée la veille par la presse.

- 11 janvier : La Chine dénonce des accusations «inacceptables».Convoqués par Renault en vue de leur licenciement, les trois cadres nient farouchement les accusations.

- 13 janvier : Renault dépose plainte contre X pour «espionnage industriel, corruption, abus de confiance, vol et recel, commis en bande organisée».

- 14 janvier : Le Parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire confiée à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI).

- 22 janvier : le PDG de Renault, Carlos Ghosn, s'exprime pour la première fois publiquement et met en avant «la gravité de l'affaire»

- 3 mars : La DCRI n'a trouvé ni trace d'espionnage par des salariés ni trace de comptes en Suisse, selon des sources proches du dossier.

- 4 mars : M. Pélata reconnaît que Renault a pu être «victime d'une manipulation» et propose une réintégration des cadres si le constructeur s'est trompé.

- 11 mars : deux responsables de la sécurité de Renault ayant dirigé l'enquête interne du groupe sont placés en garde à vue. L'un d'eux, Dominique Gevrey, est mis en examen pour escroquerie et écroué le 13 mars.

- 14 mars: le procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin, estime que l'affaire d'espionnage ne relevait en fait que d'une «possible escroquerie au renseignement» et confirme que les cadres licenciés ne disposaient pas de comptes à l'étranger.Renault présente ses «excuses» aux trois cadres et leur promet «réparation».

- 15 mars: L'Etat, premier actionnaire de Renault, «ne pourra pas laisser ça sans suite», dit le gouvernement.La DCRI a identifié un compte bancaire détenu en Suisse par Dominique Gevrey.

- 20 mars: Le ministre de l'Industrie Eric Besson ne veut pas «déstabiliser davantage» Renault, semblant écarter des sanctions contre Carlos Ghosn.

- 21 mars: L'avocat de Renault annonce que le constructeur se constitue partie civile dans l'enquête pour escroquerie.

- 23 mars: Un des trois cadres, Bertrand Rochette, rencontre Carlos Ghosn et refuse sa proposition de réintégration.

- 28 mars: Renault avait conscience dès le 14 février de s'être fourvoyé dans une fausse affaire d'espionnage, selon un enregistrement interne révélé par L'Express.fr et France 2.

- 30 mars: Patrick Pélata défend sa gestion de l'affaire, estimant que Renault devait «se protéger dès lors que le risque est élevé».

- 9 avril: Selon Marianne, les trois cadres victimes de l'affaire réclameraient 2,4 à 3,5 millions d'euros de dommages pour préjudice moral, chiffres démentis par l'avocat de Michel Balthazard.Renault présente ses excuses au procureur Marin, accusé dans un enregistrement clandestin d'avoir «couvert» l'enquête officieuse contre les trois cadres du groupe.

- 11 avril: à l'issue d'un conseil d'administration, Renault annonce le départ de M. Pélata, le débarquement de trois cadres dirigeants, le licenciement des trois responsables de la sécurité du groupe ainsi qu'un accord pour indemniser les cadres licenciés à tort.