La «guerre économique» entre entreprises a fait une victime cette semaine: le constructeur automobile français Renault qui a mis à pied trois cadres dirigeants soupçonnés d'avoir dévoilés des secrets industriels, peut-être au profit d'acteurs chinois.

L'affaire, qui touche au coeur stratégique du groupe de Carlos Ghosn, mobilise jusqu'au sommet de l'État français, qui détient encore 15% de Renault.

La Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) n'est officiellement «pas saisie judiciairement à ce jour», mais peut l'être «à tout moment», a déclaré vendredi un de ses responsables.

Mais le contre-espionnage planche déjà sur l'affaire, selon d'autres sources proches du dossier, dont l'une a indiqué que «la sous-direction de la protection économique de la DCRI était sur le coup».

Selon le quotidien Le Figaro, la «piste chinoise» est privilégiée par les services secrets et par Renault.

«Espionnage industriel»: le ministre de l'Industrie Eric Besson a été le premier officiel à lâcher le mot jeudi. «L'expression "guerre économique", parfois outrancière, là pour le coup est adaptée», a-t-il jugé.

Il a demandé aux services de Bercy de renforcer les obligations en matière de sécurisation du secret industriel pour les entreprises bénéficiant d'argent public, estimant que cette affaire «illustrait une nouvelle fois les risques pour nos entreprises en matière (...) en matière d'intelligence économique».

Renault, qui va «inévitablement» porter plainte, a justifié la mise à pied de ses trois cadres par la nécessité «de protéger, sans attendre, les actifs stratégiques, intellectuels et technologiques» de l'entreprise».

«Il s'agit de faits très graves concernant des personnes en position particulièrement stratégiques dans l'entreprise», a souligné son directeur juridique Christian Husson.

L'affaire est liée au programme phare de Renault en matière de véhicule électrique, dans lequel le constructeur a déjà investi 4 milliards d'euros avec son allié japonais Nissan.

L'enjeu est énorme pour le tandem, qui vise le leadership mondial sur ce marché dans lequel il s'est engagé avant la plupart de ses concurrents. A lui seul, Renault a déjà déposé 56 brevets sur le véhicule électrique, et en a encore une centaine en cours de finalisation.

Selon des sources proches du dossier, un des cadres mis à pied fait partie du comité de direction de Renault, un autre travaille sur le programme des véhicules électriques.

Les faits précis reprochés aux trois hommes restent obscurs, tout comme les destinataires des informations qu'ils sont soupçonnés d'avoir diffusées.

Pour le député UMP Bernard Carayon, spécialiste des questions d'intelligence économique, la piste chinoise évoquée est bien celle privilégiée. «Les soupçons se portent effectivement dans cette direction», a-t-il déclaré vendredi.

Roger Faligot, l'un des meilleurs spécialistes mondiaux de l'espionnage chinois, confirme que les Chinois s'intéressent particulièrement, entre autres, au secteur de l'automobile.

«L'automobile électrique est un enjeu important pour les industries automobiles chinoises», a expliqué à l'AFP, en soulignant que les entreprises du secteur «travaillaient en étroite relation» avec le Guoanbu (Sûreté d'État, services de renseignements).

«Les grandes entreprises chinoises ont de gros budgets recherche et développement (RD), dont une partie est utilisée pour faire du renseignement avec d'importants budgets pour acheter les gens», a-t-il ajouté

Renault avait déjà été touché par des fuites en 2007. Il avait alors porté plainte pour «espionnage industriel» après la publication dans le magazine Auto Plus de photos et dessins des Renault Mégane 3 et Twingo CC.