Quelques centaines de jeunes producteurs agricoles ont marché vers les bureaux montréalais du premier ministre Justin Trudeau, jeudi, pour réclamer le maintien intégral de la gestion de l'offre en marge du renouvellement de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

«On ne veut aucune concession parce que, oui, le maintien de la gestion de l'offre c'est une chose, mais on a déjà fait des concessions dans les derniers mois et dernières années, mais on ne peut plus en laisser passer d'autres», a averti le vice-président de la Fédération de la relève agricole du Québec, David Beauvais, en entrevue téléphonique avec La Presse canadienne.

La Fédération, qui représente les jeunes agriculteurs, est inquiète de voir le Canada ouvrir davantage le marché des produits sous gestion de l'offre aux Américains, en l'occurrence les produits laitiers, les oeufs et la volaille.

Un élargissement de l'accès à ces marchés aurait, selon la Fédération, des conséquences catastrophiques pour les producteurs touchés, plus particulièrement les jeunes qui sont en démarrage de production.

«Plusieurs producteurs trouvent ça déjà difficile, surtout les producteurs qui viennent de démarrer, les jeunes qui budgetent avec certaines quantités de lait produit et s'il en entre 4 ou 5% de plus au pays, ce sont 4 ou 5% de moins qu'ils peuvent produire et ils vont avoir du mal à arriver et à répondre à leurs créanciers parce que 4 ou 5% de moins, souvent les budgets sont serrés, sont comptés à la "cenne" près», affirme M. Beauvais.

Leur inquiétude repose notamment sur l'insistance du gouvernement Trudeau à préserver le mécanisme indépendant de règlement des différends et l'exception culturelle dans le nouvel accord. Par contre, bien que le premier ministre Trudeau ait aussi répété à maintes reprises vouloir protéger le système de gestion de l'offre, il ne s'est pas engagé pour autant à ne pas élargir l'ouverture aux produits en provenance de l'étranger.

La Fédération, qui est affiliée à l'Union des producteurs agricoles (UPA), souligne que le Canada a permis l'entrée au pays de plus de 17 000 tonnes de fromage européen lorsqu'il a négocié l'Accord économique et commercial global (AECG) avec l'Union européenne (UE).

De plus, elle rappelle qu'Ottawa a ouvert encore davantage les marchés sous gestion de l'offre avec le Partenariat transpacifique (PTP) en faisant le calcul que les États-Unis seraient les premiers à s'en prévaloir.

Or, les États-Unis se sont retirés du PTP sous l'impulsion du président Donald Trump, mais l'ouverture aux marchés est demeurée en place, de sorte que ce sont les autres pays membres - au premier chef la Nouvelle-Zélande - qui bénéficieront de cet accès additionnel.

C'est donc dire qu'ils craignent de voir les Américains exiger l'accès qu'ils ont perdu en se retirant du PTP.

«Les Américains auraient eu la possibilité d'utiliser le 3% qu'on leur avait concédé dans le PTP, mais ils ont décidé de se retirer du PTP et ils veulent maintenant des concessions supplémentaires pour eux», déplore le président de la Fédération.

«Le point de rupture a déjà été dépassé dans les dernières négociations», soutient pourtant David Beauvais.

Leur plus grande crainte est de voir le Canada utiliser la gestion de l'offre pour offrir des compromis dans le but d'obtenir une entente qui préserverait le mécanisme de règlement des différends et l'exception culturelle.

Le Canada serait alors en mesure d'affirmer qu'il a maintenu le système de gestion de l'offre tout en ayant permis aux États-Unis d'en réduire la portée.

En l'absence du premier ministre Trudeau, c'est la ministre du Développement international, Marie-Claude Bibeau, qui est venue à leur rencontre.

«Ce n'est pas une industrie comme les autres, quand on parle de troisième, quatrième génération de producteurs agricoles, quand on parle de la vitalité de nos régions aussi qui dépend de nos fermes familiales», a-t-elle déclaré aux médias.

«Alors on est très au courant. Vous savez, c'est le Parti libéral qui a créé la gestion de l'offre; on veut protéger la gestion de l'offre», a-t-elle déclaré, une formulation qui s'aligne avec celle du premier ministre Justin Trudeau et qui affirme une volonté de maintenir le système en place, mais qui ne ferme pas pour autant la porte à un élargissement des quantités de produits étrangers pouvant être importés au Canada.

Trudeau a deux poids, deux mesures, critique Lisée

Le chef du Parti québécois (PQ), Jean-François Lisée, trouve que « ça n'a pas de bon sens » que Justin Trudeau se dise « intraitable » sur la question du mécanisme de règlement des différends tout en se montrant selon lui « flexible » sur celle de la gestion de l'offre.

Au détour d'une question sur l'agriculture, jeudi, il a servi une volée de bois vert au premier ministre canadien, lequel a prévenu que le maintien du chapitre 19 était une condition sine qua non à l'adhésion d'Ottawa au nouvel Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA).

Il a soutenu que si Justin Trudeau était « intraitable sur l'arbitrage et flexible sur la gestion de l'offre », il devait se « tenir pour dit » que « s'il est flexible sur nos intérêts, les Québécois seront intraitables à l'élection fédérale de 2019 ».

Le leader péquiste a du même souffle accusé l'équipe de négociateurs du gouvernement canadien d'être « en train de décider à quelle sauce le Québec sera mangé » à la table de négociations.

Au cours d'un entretien avec une station de radio d'Edmonton, mercredi, le premier ministre Trudeau a déclaré que le Canada ne céderait pas un pouce à la volonté de Donald Trump de supprimer les comités de règlement des différends du chapitre 19 de l'ALÉNA.

Ce chapitre permet aux entreprises de soumettre leurs différends à des arbitres indépendants, ce que le président des États-Unis considère comme une violation de la souveraineté américaine.

« Nous devons conserver le règlement des différends du chapitre 19 parce que cela garantit que les règles sont vraiment respectées. Et nous savons que nous avons un président qui ne suit pas toujours les règles telles qu'elles sont présentées », a affirmé M. Trudeau.