Dans une décision exceptionnelle, le Tribunal administratif du travail vient d'invalider un vote au scrutin secret qui avait été tenu, sur ordre du tribunal, pour vérifier la volonté de syndicalisation de travailleurs agricoles dans une serre. Et il a aussi ordonné de détruire les bulletins de vote.

Pour le syndicat des Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce (TUAC), affilié à la FTQ, qui se bat depuis trois décennies pour syndiquer des travailleurs agricoles, notamment ceux qui viennent temporairement au Québec en provenance d'autres pays, il s'agit d'une importante victoire.

Ce syndicat, déjà accrédité aux Serres Savoura Portneuf, faisait face à une campagne pour faire révoquer l'accréditation syndicale qu'il détenait depuis janvier 2014.

La section locale 501 des TUAC gagne aussi ce combat, puisque la requête en révocation de l'accréditation syndicale a été rejetée du même souffle par le tribunal.

« Multiples tentatives d'ingérence »

Le juge administratif Christian Drolet a estimé que l'employeur avait fait de « multiples tentatives d'ingérence » pour tenter de convaincre les travailleurs guatémaltèques, qui font partie de l'unité d'accréditation, de ne pas voter pour le syndicat.

S'il a invalidé le vote au scrutin secret, qui avait été tenu le 14 décembre dernier, et ordonné la destruction des bulletins de vote, c'est parce que les ordonnances du tribunal « n'ont pas été respectées » par l'employeur.

Ainsi, en novembre, lorsqu'il avait ordonné la tenue du vote au scrutin secret chez ces salariés, le tribunal avait demandé à l'employeur et à ses représentants « de s'abstenir de communiquer, de quelque façon, avec les salariés visés » concernant les sujets liés au syndicat et le vote au scrutin secret et de « s'abstenir d'entraver ou de s'ingérer dans les activités syndicales ».

Or, le 2 décembre, alors que des représentants syndicaux rencontraient des travailleurs guatémaltèques pour leur remettre un dépliant et leur parler des avantages d'avoir un syndicat, un autre homme appelé Amos était entré dans l'appartement.

« Il prend, sans raison connue, l'initiative d'intervenir dans l'appartement où se trouvent les deux représentants du Syndicat. Il se dit le chef ou le responsable des Guatémaltèques, se place entre les représentants du Syndicat et les salariés migrants et tient des propos antisyndicaux », relate le juge administratif Drolet.

Bien que l'employeur avait nié qu'Amos était son représentant, le Tribunal ne l'a pas cru. « Plusieurs éléments permettent de croire qu'Amos est effectivement soit un mandataire ou une personne qui a agi au nom ou pour le compte de l'Employeur, le 2 décembre 2017, et qu'il était investi d'une mission visant à faire en sorte que les Guatémaltèques maintiennent leur décision de ne plus adhérer au Syndicat », écrit le juge administratif.

« Son intervention a eu comme conséquence que les Guatémaltèques se sont fermés vis-à-vis les représentants du Syndicat », ajoute-t-il.

Pizza et soccer

Le juge Drolet rappelle également que dans le jugement du mois de novembre qui avait ordonné la tenue du vote au scrutin secret, le Tribunal avait écrit qu'« il est plus que probable » que le propriétaire de l'établissement qui avait dit « qu'il n'a pas besoin du syndicat », « ait offert aux Guatémaltèques un terrain de soccer et qu'il ait offert de la pizza à ses frais (...) le jour du dépôt de la requête en révocation de l'accréditation ».

« Ce sont ces éléments qui ont incité le Tribunal à ordonner un vote au scrutin secret, mais aussi de rendre des ordonnances visant à interdire toute forme d'entrave ou d'ingérence dans ce processus de la part de l'Employeur, ses représentants », souligne le juge administratif Drolet.

Après avoir analysé tout ce portrait, le juge Drolet estime que « les Guatémaltèques visés par l'accréditation détenue par le Syndicat ont subi des pressions visant à influencer négativement l'expression de leur volonté au moment du scrutin » sur l'accréditation syndicale.

« La volonté de s'associer ou non doit s'exprimer dans un contexte libre et volontaire dénué de toute forme d'ingérence indue », écrit le juge Drolet.

« Ordonner un nouveau vote est inapproprié car on ignore si les Guatémaltèques visés par l'accréditation sont de retour à l'établissement de Portneuf. Et même si c'est le cas, les multiples tentatives d'ingérence de l'Employeur (...) permettent de conclure qu'un nouveau vote ne pourrait avoir lieu dans un contexte serein et objectif, du moins dans l'immédiat », écrit le juge Drolet.

Il ordonne donc d'invalider le vote au scrutin secret sous scellés, de détruire les bulletins de vote et de rejeter la requête en révocation de l'accréditation syndicale.