Le plaidoyer en faveur d'un partage des pourboires servi la semaine dernière par une brochette de personnalités du monde de la restauration a été très mal digéré par certains serveurs.

Colombe St-Pierre, couronnée «cheffe de l'année» au Gala des Lauriers de la gastronomie québécoise en avril dernier, avoue avoir essuyé des réactions assez virulentes de serveurs mécontents à la suite de la publication de la lettre ouverte à cet effet dont elle est cosignataire.

«J'ai dû gérer des: "Bitch, t'as juste à payer tes cuisiniers convenablement au lieu d'aller voler tes serveurs"», s'exclame-t-elle en riant lors d'une entrevue avec La Presse canadienne avant d'ajouter: «Quand tu commences une discussion comme ça, c'est sûr que c'est difficile de trouver un terrain d'entente.»

La restauratrice du Bic et une soixantaine de collègues de renommée dans le milieu, dont Normand Laprise, Jérôme Ferrer et Daniel Vézina, avaient lancé un appel au gouvernement pour que celui-ci modifie la Loi sur les normes du travail qui interdit une redistribution des pourboires, auxquels seuls les serveurs ont droit.

«On veut pas obliger le partage des pourboires; on veut simplement que ce soit permis», a pour sa part fait valoir Normand Laprise. «Et après il y aura une discussion à avoir là-dessus. À un moment donné, ce sont des vieilles lois et il faut réfléchir là-dessus.»

Rencontrés à l'issue d'une conférence organisée par C2 Montréal mercredi, les deux restaurateurs ont fait valoir que la marge de profit en restauration gastronomique se situe autour de de 2 ou 3 pour cent: «quand tu fais 4 pour cent, tu fais des «high five'», a imagé Normand Laprise, expliquant qu'avec des marges aussi restreintes, il n'est pas possible d'augmenter les salaires des cuisiniers, sous-chefs et autres employés des cuisines à moins d'augmenter les prix au point de faire fuir la clientèle.

«Les inégalités sont là depuis le début, il faut arrêter de se fermer les yeux», fait valoir Colombe St-Pierre.

«Si j'ai des serveurs dans mon équipe qui sont rémunérés deux fois plus que des chefs de tête, je ne comprends pas l'écart. Il y a un illogisme», dit-elle, faisant valoir que «le pourboire, c'est une reconnaissance du service et de la cuisine» dont les piliers de la cuisine - chefs et sous-chefs - ne bénéficient aucunement.

Colombe St-Pierre affirme qu'elle ne demanderait pas mieux que de laisser tout le pourboire aux serveurs et payer davantage le personnel en cuisine, si les entrées de fonds le permettaient. Mais elle illustre ainsi le problème de redistribution des entrées de fonds: «Tu as une salle de 60 personnes qui va faire le salaire de 4 personnes, alors que je suis toute seule, comme employeur, à donner les salaires à 15 personnes... Il faut essayer de voir ce qu'on peut faire pour rééquilibrer ça.»

Car la conséquence, dans un contexte de pénurie de main-d'oeuvre, est facilement identifiable: «On a toujours plus de misère à trouver des cuisiniers que des gens au service», laisse-t-elle tomber.

Normand Laprise milite dans le même sens, même s'il reconnaît qu'il faut réfléchir à la manière de faire pour éviter un retour du balancier dans la mauvaise direction.

«Ce qui est dangereux, c'est qu'il y a de vrais restaurateurs et d'autres qui sont davantage des commerçants, qui vont juste en profiter pour enlever l'argent aux serveurs et ne le redistribueront peut-être pas au bon endroit. Ça fait peur, ça fait très peur», admet-il.

Il insiste - tout comme sa collègue - sur le fait qu'il ne veut pas un sou de plus pour lui-même: «Je veux simplement que toute mon équipe soit heureuse et que tout le monde gagne bien sa vie autant que possible.»

photo IVANOH DEMERS, archives LA PRESSE

La cheffe Colombe St-Pierre