On pourrait croire que les agriculteurs québécois sont en train de s'arracher les cheveux avec ce début d'année glacial où les températures sous les - 20 degrés Celsius alternent avec les bordées de neige. Eh non ! La plupart ont l'esprit tranquille, certains se réjouissent même...

DANS LES SERRES

C'est l'abondance dans les serres des Fermes Lufa. Le froid intense est souvent accompagné de soleil intense, explique Mohamed Hage, président fondateur de l'entreprise, ce qui a fait grimper la température dans ses installations qui se trouvent sur les toits de deux immeubles à Montréal et un à Laval. « La croissance est incroyable, dit M. Hage. On a même un surplus de laitue. Le fait que l'on soit sur un immeuble, c'est comme si on se trouvait sur une plaque chauffante. Ça nous donne une dizaine de degrés de plus que si on était sur le sol. » Le soleil a fait monter la température à 28 degrés Celsius le jour chez Lufa, alors qu'elle est normalement maintenue autour de 22 degrés.

Au Lac-Saint-Jean, la situation est fort différente. Chez Toundra, producteur de concombres à Saint-Félicien, on attend avec impatience que le mercure monte un peu afin de pouvoir déglacer les serres. L'accumulation de glace prive les légumes de soleil et ralentit leur croissance.

Les producteurs utilisent un éclairage de photosynthèse en saison hivernale et parfois un chauffage localisé pour réduire la glace et la neige afin d'éviter l'accumulation sur les structures, explique Claude Laniel, directeur général des Producteurs en serre du Québec. «Un hiver froid correspond à des coûts plus élevés pour le chauffage, dit-il. En décembre, nous estimons que les coûts supplémentaires ont dépassé la moyenne d'environ 10%.»

VIN DE GLACE

Le Québec aura une saison exceptionnelle de vin de glace cette année, grâce au froid ! Les conditions ont été parfaites, explique Yvan Quirion, président de l'Association des vignerons du Québec. Le froid intense est arrivé d'un coup en décembre et n'est jamais parti. Résultat : le raisin a gelé sur la vigne et est resté gelé. « Ça va donner un vin de glace parfaitement balancé, dit Yvan Quirion. Ni trop pulpeux ni trop gras ; ni trop acide ni trop sucré. »

Le froid a aussi facilité la vie des viticulteurs qui produisent du vin de glace. Car au Québec, le vin de glace doit être fait à partir de raisins récoltés à la main, dehors. Il faut donc éviter les redoux à tout prix, ce qui donne souvent des frissons aux producteurs qui regardent MétéoMédia chapelet en main. Cette année, leurs prières ont été exaucées : jamais la température n'a trop monté, ce qui aurait mis en péril la production.

Le vin de glace est protégé par une appellation et un cahier des charges qui réglemente la façon dont il doit être produit. Encore peu de vignerons font du vin de glace, soit plus ou moins 10 % des 125 producteurs québécois.

SUR LES VIGNES

Pour ce qui est de la récolte régulière, le couvert de neige protège bien les vignes jusqu'à présent. Les viticulteurs d'ici protègent aussi leurs vignes avec de la toile, ou alors ils les « buttent » avec de la terre. « La bonne nouvelle : on a eu une bonne couverture de neige », dit Frédéric Simon, du vignoble Pinard et filles, qui utilise de la toile et de la paille. En huit ans de pratique, c'est l'amorce hivernale la plus froide que le jeune vigneron a vécue, mais la température sous la toile n'a jamais descendu sous les - 13 degrés. Ce qui est très bien, étant donné que l'entreprise de Magog travaille les vignes européennes, plus sensibles au froid.

Mêmes nouvelles rassurantes dans d'autres vignobles, notamment à L'Orpailleur où Charles-Henri de Coussergues et son équipe viennent de terminer leur production de vin de glace. Tant mieux, car la demande pour le vin québécois explose. « Je crois que l'on va connaître ce que l'Ontario a connu il y a 25 ans », dit M. de Coussergues, qui prédit que la production de vin au Québec va doubler au cours des cinq prochaines années.

CIDRE ET POMMES

En plus d'une hausse d'intérêt pour le vin d'ici, les consommateurs redécouvrent le cidre. La Cidrerie Milton a élargi sa gamme et planté des variétés de pommiers spécialement pour développer des cidres plus typés. Ces jours-ci, ce n'est pas le froid qui inquiète Michel Lasnier, propriétaire, mais tous ces pommiers qui passent l'hiver avec leurs feuilles. L'automne chaud a provoqué un dérèglement physiologique dans l'arbre, explique le producteur, et cela pourrait le fragiliser. La moitié des pommiers McIntosh de ce verger de Sainte-Cécile-de-Milton ont encore des feuilles. Avec le froid intense, cela pourrait être fatal pour certains, les plus jeunes.

RÉSISTANTES ABEILLES

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, les abeilles québécoises ne devraient pas mourir de froid. « Le froid ne tue pas les abeilles, dit Félix Lapierre, apiculteur à Brébeuf, dans les Laurentides. Elles sont plus résistantes que l'on croit. S'il fait très froid, elles vont se regrouper dans la ruche. » L'apiculture est un art complexe. La colonie doit être forte au moment de l'hibernation, les abeilles doivent avoir assez de nourriture jusqu'à l'ouverture de la ruche au printemps et la reine doit être performante, notamment, dit-il. Mais le froid n'influence pas directement le taux de mortalité, les ruches étant nettement plus sensibles à l'humidité.

PHOTO HUGO-SéBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Les salades profitent de l'ensoleillement sans souffrir du froid dans les installations des Fermes Lufa à Anjou.

Et les États-Unis ?

Si le couvert de neige a protégé les cultures au Québec, la neige fait mal aux céréales aux États-Unis. Le prix du blé, déterminé à la Bourse, a monté depuis deux jours. Les acheteurs craignent les ravages de la météo extrême.

Plus au Sud, en Floride, le gel maltraite certaines productions de fruits, les agrumes notamment. La Floride produit 60 % des oranges et pamplemousses américains. Pour les importateurs d'ici, toutefois, rien de nouveau sous le soleil. Depuis quelques années, les importateurs ont diversifié leurs sources d'approvisionnement, précisément parce que les principaux États nourriciers américains, la Californie et la Floride, doivent régulièrement composer avec des extrêmes météorologiques, sécheresse d'un côté, gel de l'autre. « Maintenant, nos oranges viennent beaucoup de l'Espagne, de l'Égypte, de la Turquie ou du Maroc », énumère Simon Faucher, importateur chez Fruits et Légumes Gaétan Bono. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas d'impact dans les fruiteries d'ici, précise toutefois Simon Faucher : on peut s'attendre à voir le prix des fraises importées grimper, la production d'hiver dans certaines régions du Mexique ayant aussi été réduite par le froid.

Des fraises ont gelé en Floride à cause de la vague de froid.