L'année 2017 a été très bonne pour les restaurateurs québécois. L'économie favorable et le bel automne ont donné envie à plein de gens de sortir manger à l'extérieur. Malgré cela, des dizaines de restaurants ont fermé leurs portes. Pourquoi?

DES OUVERTURES, DES FERMETURES...

Sur 10 restaurants qui ont fait faillite en 2017 au Canada, 7 se trouvaient au Québec. C'est la tendance habituelle : environ 66 % des restaurateurs qui font faillite au pays sont ici, dont une proportion importante à Montréal.

« Il y a une disproportion entre le nombre de faillites par rapport au nombre de restaurants », constate François Meunier, de l'Association des restaurateurs du Québec. La province compte 24 % des restos canadiens.

Si ceux du Québec sont plus fragiles, explique-t-il, c'est que la part d'établissements « à service complet » est plus importante ici qu'ailleurs. Ce sont majoritairement des restaurants indépendants, avec une structure moins solide et des investisseurs qui ne peuvent parfois pas soutenir une longue période non rentable. 

Le taux de rentabilité moyen d'un restaurant à service complet au Québec a frôlé le plancher l'année dernière : 2,8 %. Un établissement qui a un chiffre d'affaires de 1 million de dollars et qui suit cette moyenne se retrouve avec 28 000 $ à la fin de l'année. Pour les restaurants à « service restreint », le profit double. 

Malgré ce constat décourageant, plusieurs nouvelles adresses branchées apparaissent année après année, ce qui garde le nombre de restaurants à service complet au Québec, et particulièrement à Montréal, très élevé. « Plusieurs personnes ne font pas une bonne lecture du marché », poursuit François Meunier. 

« Les gens veulent devenir le chef qui va percer et se retrouver à la télévision. Ils ne veulent pas vendre des sandwichs derrière un comptoir. » - François Meunier, de l'Association des restaurateurs du Québec

Cette valse de fermetures et d'ouvertures fait très mal à l'industrie, estime Dyan Solomon, qui a fondé Olive & Gourmando, rue Saint-Paul Ouest, il y a 20 ans avec le chef Éric Girard. C'était à l'époque où le Vieux-Montréal appartenait aux touristes et les restaurants qui s'y trouvaient étaient surtout pensés pour ces voyageurs qui ne faisaient que passer. Le quartier a changé, les restaurants y ont poussé comme des champignons.

Selon elle, il y a deux catégories de gens qui se lancent dans la restauration. D'abord, des professionnels, des chefs ou des gens du milieu. Et il y a les autres. « Je les appelle "les restaurateurs romantiques", explique Dyan Solomon. Ils veulent devenir propriétaires de leur restaurant, mais n'ont aucune idée de ce que ça représente. Ils ont de l'argent et ont toujours voulu s'asseoir au bar pour discuter avec les clients. Selon moi, c'est un désastre. »

Pour Dyan Solomon, cette nouvelle réalité explique en partie l'impressionnant roulement de restaurants à Montréal.

« Ça prend six mois pour faire faillite en restauration. Tu peux te saigner à blanc très rapidement dans cette business. » - Dyan Solomon, copropriétaire d'Olive & Gourmando

« Ce n'est pas comme une boutique qui a un loyer très cher, mais qui peut fonctionner avec une employée et survivre pendant un bout de temps. Sans nécessairement faire de l'argent, mais en ne faisant pas faillite. En restauration, c'est brutal. Tu n'y peux rien. L'argent coule tous les jours. Les coûts sont énormes. Ta matière première est périssable et très chère. La viande, le fromage, les légumes. Tout cela coûte une fortune. Si tu ne les vends pas, tu les jettes à la poubelle. Cette business ne pardonne pas. »

LEÇON DE MATHÉMATIQUES

Le chef Luciano D'Orazio a ouvert il y a deux ans un restaurant qui porte son nom. Quiconque s'aventure en restauration doit savoir ce qu'il fait, dit-il, et doit savoir compter. « Ici, on a fait un menu fixe. Des classiques, avec des plats spéciaux qui ne sont pas à la carte, un poisson et une viande. Si j'achète 30 poissons, après 30 poissons, il n'y en a plus, tranche le chef. Il faut gérer le gaspillage. Dès que tu commandes trop, tu perds de l'argent. »

« Certains restaurants coupent sur la qualité des ingrédients dès que les chiffres ne sont pas bons, sauf qu'aujourd'hui, les clients connaissent la qualité et ça ne pardonne pas. Ces restaurants-là ne passent pas au travers. » - Luciano D'Orazio, chef propriétaire du Luciano

La trattoria Luciano est une entreprise familiale. Le petit resto compte 40 places, très prisées. Le chef est toujours là. « Un client qui vient ici est certain de me voir », lance Luciano D'Orazio. 

« Ouvrir un restaurant, c'est une affaire de passion. Si tu te fies sur quelqu'un d'autre, tu n'as aucune chance de réussir. Il faut avoir une vision à long terme », dit-il. Surtout dans un univers où le coût de la matière première monte et descend selon des facteurs parfois totalement incontrôlables et imprévisibles.

Parlez-en aux propriétaires de L'Épicurieux. 

Dominic Tougas, Fanny Ducharme et Maxime Laverdure ont ouvert leur restaurant à Val-David en 2016.

« Durant notre premier été, on a voulu faire plaisir aux gens, raconte Dominic Tougas, un ancien de la Cabane Au Pied de cochon. On parlait toujours de nos pilons de canard confits avec des crevettes, un peu à la cajun, avec du maïs et de la pomme de terre. Les gens adoraient ça. Sauf que le prix des crevettes a monté cet été-là. Les gens venaient spécialement pour manger ce plat. C'était notre meilleur vendeur. Finalement, l'assiette qu'on sortait le plus était l'assiette sur laquelle on faisait le moins d'argent. »

« Après le premier trimestre, le comptable a regardé nos chiffres. Il nous a félicités parce qu'il y avait du monde qui venait au resto et nous a dit que si nous ne changions pas notre façon de faire, on fermerait avant la fin de l'année. » - Dominic Tougas, chef propriétaire de L'Épicurieux

Les jeunes ont refait leurs calculs, le resto est toujours là et gagne en popularité.

Dyan Solomon et son associé Éric Girard ont ouvert Foxy, il y a deux ans. Ils emploient maintenant une centaine de personnes, bientôt un peu plus avec l'arrivée cette année de leur café italien, dans le Vieux-Montréal.

« Les gens qui sont dans le métier parce qu'ils aiment vraiment ça continuent, dit-elle. C'est comme être un artiste. On ne se voit pas faire autre chose. »

La suite du dossier de Stéphanie Bérubé sur La Presse+

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