Pour 70 employés des rôtisseries St-Hubert, le fameux ver d'oreille « Dring, dring, dring, que désirez-vous... » a désormais un sens bien précis : ils veulent racheter le restaurant de la rue Saint-Denis.

Cet établissement, l'un des plus vieux de la chaîne, construit en 1980, fermera ses portes le 12 mai, a-t-on appris le 20 mars dernier. À moins que ce groupe d'employés, mené par trois jeunes étudiants et livreurs à temps partiel, n'arrive à convaincre l'entreprise de les laisser y exploiter une franchise St-Hubert. Le restaurant est un des 13 établissements relevant directement du siège social, qui est également propriétaire de l'édifice et du terrain, évalués 2,3 millions.

« Il y a des employés qui travaillent ici depuis 30 ans, ces gens-là vont avoir de la difficulté à se replacer », dit Kacim Belmihoub, 26 ans, étudiant en droit du travail. « Cette coopérative de travailleurs, c'est une démarche de solidarité, ajoute son partenaire, Valentin Hoyau, bachelier en criminologie. Les employés se sont mobilisés, nous avons déjà récolté 45 signatures, on a eu un seul refus. »

«Pas un Walmart»

Même s'ils tentent visiblement de ne pas blâmer le nouveau propriétaire des Rôtisseries St-Hubert, l'entreprise ontarienne Cara, les trois meneurs dénoncent la manière « cavalière » dont on a annoncé la fermeture du restaurant.

« Ils ont fait le minimum, donné huit semaines de préavis et aucune indemnité de départ, dit Quentin Jeandeau, 25 ans, étudiant à la maîtrise en stratégie d'entreprise. Ça ne faisait pas très St-Hubert, on ne traite pas sa famille comme ça. »

« On ne travaille pas dans un Walmart, c'est ça qui est choquant », renchérit M. Belmihoub.

Les trois étudiants l'avouent, leur projet n'est pas ficelé financièrement. En fait, ils ignorent combien coûterait l'achat d'une franchise St-Hubert à cet endroit pour une raison toute simple : ils n'ont aucun contact avec Cara. « Jusqu'à maintenant, nous n'avons aucune réponse de l'employeur, aucune nouvelle, précise Kacim Belmihoub. Le strict minimum serait qu'on soit entendus, qu'on puisse explorer s'il y a une possibilité de le faire. »

Aucune demande

Le projet a par ailleurs reçu un coup de pouce inattendu mardi soir, lors du dépôt du budget : le gouvernement Couillard a annoncé 50 millions pour aider les projets de reprise des entreprises, notamment par des coopératives de travailleurs.

La demande d'entrevue de La Presse aux Entreprises Cara, dont le siège social est en banlieue de Toronto, a été acheminée aux St-Hubert, à Laval. « On n'est pas informés de ce projet, nous n'avons pas eu de demande, a déclaré Josée Vaillancourt, porte-parole. Nous verrons ce qui arrivera s'il y a une demande. Nous, on a fermé la rôtisserie parce qu'elle n'était pas rentable. »

Pour le local 500 des Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce (TUAC), qui représente 15 restaurants St-Hubert, dont celui de la rue Saint-Denis, ce projet de coopérative est exemplaire.

« C'est de toute beauté, dit Tony Filato, président. Ce modèle de coopérative, St-Hubert le connaît, ce n'est pas nouveau. Nous, on veut que ça fonctionne, dans l'intérêt de nos membres. »

Négociations en suspens

Quand il a rencontré les trois jeunes pour la première fois à son bureau, M. Filato affirme les avoir assurés de son plein appui et les a félicités. Mais il reconnaît que le projet est loin d'être concrétisé, d'abord parce que le syndicat est sans nouvelles d'Entreprises Cara depuis que la transaction a été finalisée, il y a cinq mois.

« On a fait des démarches pour rencontrer les gens de Cara, pour avoir des explications, parler de l'avenir, de la vision. Rien. »

Le restaurant de la rue Saint-Denis était par ailleurs en renouvellement de convention collective depuis février dernier. Aucune rencontre de négociation n'a eu lieu malgré deux lettres envoyées à l'employeur. « Quand Lowe's a racheté Rona, on a pu les rencontrer. Loblaws et Metro, je les rencontre régulièrement. Je sais que Cara n'est pas antisyndicale, tous les Swiss Chalet en Ontario sont syndiqués. Mais ils ont l'obligation de s'asseoir avec nous : ce n'est pas parce que le restaurant ferme que ton droit de négocier disparaît. »

La porte-parole de Rôtisseries St-Hubert s'est dite « surprise » de ces reproches. « On a des représentants du siège social de St-Hubert qui sont disponibles dans la rôtisserie pratiquement tous les jours depuis l'annonce, a affirmé Josée Vaillancourt. Si les gens du syndicat ont des demandes particulières, ils peuvent les faire à ces personnes. Les communications ne sont pas du tout coupées. »

Photo Robert Skinner, La Presse

Le restaurant St-Hubert de la rue Saint-Denis a ouvert ses portes en 1980.