Cédant aux menaces de blocage des sentiers de motoneige, le gouvernement Couillard fait marche arrière dans son affrontement avec les agriculteurs sur la question des taxes foncières.

Les libéraux ont donc fait savoir vendredi qu'ils renoncent à leur réforme du Programme de crédit de taxes foncières agricoles (PCTFA).

Les municipalités appliqueront ainsi l'ancien régime de taxation, qui était plus généreux pour les agriculteurs, de leur avis - même si le retour au statu quo coûtera moins cher aux contribuables. Le rétablissement de l'ancien programme devrait en effet coûter 7 millions $ de moins au Trésor, soit 145 millions $ plutôt que 152 millions $.

L'Union des producteurs agricoles (UPA) était en guerre depuis plusieurs mois contre la réforme et, outre une requête déposée en cour, le syndicat agricole menaçait de perturber la saison touristique des régions à compter de lundi prochain en refusant aux motoneigistes l'accès aux sentiers situés sur les terres agricoles.

Dans un point de presse vendredi matin à l'Assemblée nationale, le nouveau ministre de l'Agriculture, Laurent Lessard, qui remplace Pierre Paradis depuis à peine 10 jours, a dit qu'il avait rencontré le président de l'UPA, Marcel Groleau, la semaine dernière.

Le ministre a dit s'être alors enquis de la perception de l'UPA et des difficultés de la mise en oeuvre de la réforme. Le syndicat a maintenu que la réforme avait des effets différents d'une région à l'autre, a dit M. Lessard.

«Dans l'évaluation d'une incompréhension sur quelque chose qui dure depuis un an, alors qu'il y a à peu près 10 pieds de neige partout au Québec, les Ontariens, les gens du Nouveau-Brunswick, les Américains, les Européens... Je pense que l'économie de la motoneige et du VTT est à son plein développement pour un mois ou un mois et demi, alors on décide d'aller de l'avant», a dit M. Lessard.

Le ministre a même évoqué le nouvel accord de libre-échange avec l'Europe et les risques qui pèsent sur l'ALÉNA pour justifier cette volte-face.

M. Lessard a par ailleurs annoncé qu'un programme supplémentaire de crédit foncier d'une valeur de 4 millions $ sera mis sur pied pour les petits agriculteurs - dont la valeur de la production est en deçà de 5000 $ - qui auraient été favorisés par la réforme avortée.

Dans un communiqué diffusé vendredi après-midi, l'UPA a salué la décision du gouvernement et a levé la menace qui planait sur la saison de motoneige. Marcel Groleau a toutefois déploré que le gouvernement n'annonce pas un forum de tous les intervenants «pour trouver des solutions durables à la fiscalité foncière agricole», dont le fardeau s'accroît.

L'opposition officielle, qui avait pris la défense de l'UPA à l'Assemblée nationale, a rappelé qu'elle avait sonné l'alarme dès le dépôt du dernier budget en avril. «Pendant ces 10 mois, le Parti libéral a fait vivre des milliers d'agriculteurs dans l'incertitude, a déclaré le député péquiste André Villeneuve dans un communiqué. Pourquoi avoir attendu qu'il y ait de réels impacts négatifs sur la saison touristique pour agir?»

Il a aussi accusé le gouvernement d'avoir dépensé des fonds publics en accordant un contrat à une firme de vérification qui n'a fait que valider les arguments des agriculteurs et de l'opposition.

La Coalition avenir Québec (CAQ) a pour sa part appelé le premier ministre Philippe Couillard «à rétablir au plus vite le lien de confiance qu'il a brisé avec le milieu agricole».

Dans un communiqué, le député de Nicolet-Bécancour, Donald Martel, a accusé le gouvernement d'«improvisation» et a demandé la nomination d'un ministre de l'Agriculture à temps plein, puisque M. Lessard s'occupe aussi des Transports.

L'UPA s'opposait avec virulence aux changements au PCTFA qui entraient en vigueur en janvier. Selon le syndicat agricole, le nouveau taux uniforme de 78 % allait pénaliser environ 80 % des agriculteurs, dont le compte de taxes municipales aurait augmenté de 30 à 40 % cette année.

Il affirmait que le PCTFA ne suffisait plus pour atténuer la hausse des comptes de taxes municipales de ses membres, particulièrement dans les zones partiellement urbaines comme la Montérégie.

L'UPA avait même déposé une requête au tribunal en soutenant que le gouvernement ne pouvait changer les règles actuelles sans amender la Loi sur le ministère de l'Agriculture.

Mais les libéraux s'en remettaient alors plutôt aux projections du ministère des Finances, selon lequel un très petit nombre d'entrepreneurs agricoles, 1 %, seraient touchés, avec une perte moyenne de 113 $. Philippe Couillard avait lui-même dit récemment ne pas croire aux cas d'agriculteurs étranglés par leurs comptes de taxes et leur avait demandé de transmettre leurs comptes des dernières années pour les étudier.

Le gouvernement plaidait que l'ancien PCTFA devait être modifié parce qu'il accordait un pourcentage de remboursement de taxes supérieur au-delà d'une certaine valeur foncière, ce qui encourageait la hausse du prix des terres.

Québec faisait aussi valoir que les producteurs assujettis à la gestion de l'offre, dans le domaine du lait, des oeufs et du poulet, pouvaient tout simplement ajouter le montant de leurs taxes à leurs coûts de production, de même pour les producteurs sous le régime de l'Assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA).

Enfin, le gouvernement disait avoir le soutien des municipalités, car elles auraient pu percevoir davantage de taxes foncières.

Le PCTFA d'avant la réforme, qui est donc rétabli, prévoit un crédit de 100 % des premiers 300 $ de taxes municipales, taxes scolaires et autres tarifications (taxe de secteur, compteur d'eau, etc.).

À cela s'ajoutent un crédit de 70 % de la somme des taxes qui dépassent les premiers 300 $ et un crédit de 85 % sur la portion de la valeur des terres agricoles qui dépasse 1814 $ l'hectare, un montant indexé chaque année.