Crispr-Cas9: derrière cet acronyme mystérieux se cache une technique permettant d'obtenir des OGM sans ajouter de matériel génétique étranger aux organismes vivants. Le géant Monsanto veut faire la course en tête pour mettre la main sur cette innovation majeure dont l'innocuité reste toutefois sujette à caution.

Le groupe américain de semences, en cours de rachat par le chimiste allemand Bayer, a conclu récemment avec le prestigieux MIT de Boston un accord non exclusif d'utilisation de cette technique à des fins agricoles.

«Cette licence pour utiliser le Crispr-Cas (...) nous donne accès à un outil intéressant pour notre département grandissant de recherche sur l'édition génomique», a déclaré Tom Adams, responsable du département biotechnologie chez Monsanto.

Grâce au Crispr, qui permet de couper l'ADN, les OGM seront élaborés de manière encore plus fine. Il sera par exemple possible de «casser un gène (d'une semence) qui permet à un champignon de se développer», explique Georges Pelletier, président du Conseil scientifique de l'AFBV (Association française des biotechnologies végétales).

L'intérêt commercial est donc évident, surtout au moment où le développement des OGM semble marquer le pas. En 2015, pour la première fois depuis 20 ans, leur usage a stagné dans le monde, même s'il concerne encore tout de même 18 millions de fermiers dans 28 pays.

L'opération de Monsanto «montre que l'édition génomique est promise à un brillant avenir dans l'agriculture», explique à l'AFP Dan Voytas, directeur scientifique de Calyxt, une société du Minnesota qui développe d'autres technologies d'édition du génome des plantes.

Il rappelle que tous les géants du secteur, Monsanto, Bayer, ou Dupont ont récemment acquis des brevets dans différentes techniques d'édition du génome.

Mais contrairement à certaines de ces nouvelles technologies, le Crispr «est une technique qui permet aujourd'hui d'avoir une modification génétique extrêmement précise sans introduire un gène exogène, comme dans la transgénèse (OGM actuels)», explique la Française Delphine Guey, du Gnis (Groupement national interprofessionnel des Semences et plants).

Incertitudes juridiques

Certains de ses partisans affirment que cette spécificité permet au Crispr de respecter davantage l'intégrité génétique d'une plante que d'autres techniques et pourrait donc recevoir un accueil moins méfiant que les OGM en leur temps.

Mais pour plusieurs spécialistes, l'achat de cette licence s'apparente tout de même à un pari.

Le cadre réglementaire qui s'appliquera au Crispr sur l'imposant marché européen reste incertain. En France, le Conseil d'État, saisi par la Confédération paysanne, a d'ailleurs décidé d'interroger la Cour de justice européenne sur ce sujet.

«Une réflexion plus large de l'Union européenne sur les «new breeding techniques» (NBT, dont fait partie Crispr) et d'une manière générale sur l'innovation dans le secteur des semences est nécessaire et est en cours», rappelle Enrico Brivio, un porte-parole de la Commission européenne, dont l'avis sur le sujet a été repoussé à plusieurs reprises.

Pour lui, la décision de la Cour de justice pourrait «clarifier certains aspects de la question.»

«Crispr fait partie de ces nouvelles techniques OGM que les industriels voudraient bien exclure de la règlementation des OGM», craint Jean-Luc Juthier, membre de la commission OGM/semences à la Confédération paysanne.

Pour lui, ces techniques vont créer «de nouveaux OGM», même si leurs concepteurs s'en défendent, et le procédé «peut poser des tas de problèmes de santé, d'environnement».

«Je ne dis pas que c'est dangereux, mais qu'on n'a pas la preuve de l'innocuité», réagit Yves Bertheau, directeur de recherche de l'Inra au muséum national d'histoire naturelle à Paris, pour qui «il faut donc faire des évaluations de risques comme pour les OGM et développer le cadre manquant d'évaluation des risques liés aux épi-mutations.»

Dan Voytas veut croire qu'aucune de ces nouvelles semences ne poussera sur le sol européen, «tant qu'un processus règlementaire n'aura pas été mis en place».

Autre problème pour le Crispr, «il y a un flou artistique au niveau des droits d'usage», rappelle Georges Pelletier, faisant référence à la bataille judiciaire qui oppose les deux laboratoires revendiquant la découverte de cette technique.

Elle oppose d'une part l'Américaine Jennifer Doudna de l'Université de Californie à Berkeley, associée à la Française Emmanuelle Charpentier, d'autre part un jeune chercheur américain d'origine chinoise, Feng Zhang, du Broad Institute du MIT (Massachusetts Institute of Technology) à Harvard.

Elle pourrait durer «vraisemblablement quelques années», selon l'un des protagonistes.