Décidément, l'accord commercial entre le Canada et l'Union européenne déplaît grandement aux agriculteurs. Ceux d'ici craignent l'arrivée massive de fromages industriels européens. En France, certains producteurs artisans sont en train de se mobiliser contre l'entente. Selon eux, tel qu'il est rédigé, l'accord ouvre la porte à l'utilisation fautive de leurs appellations d'origine protégées (AOP) par des producteurs canadiens.

«Une fois de plus, l'Union européenne abandonne ses paysans pour obtenir d'hypothétiques avantages pour ses multinationales des services», a récemment réagi José Bové sur le site Mediapart. «Aujourd'hui, la labellisation AOP est la garantie pour un producteur que son savoir-faire et le terroir qu'il fait vivre sont uniques et ne seront pas plagiés. C'est un parcours du combattant», poursuit le célèbre défenseur des droits des agriculteurs français. 

L'Accord économique et commercial global a été signé à l'automne 2013, mais la Commission européenne vient de rendre disponibles les documents qui dévoilent ses détails. Parmi les annexes de ce document de plus de 1500 pages, on découvre que plutôt que de protéger l'ensemble de ses aliments sous appellations, l'Union européenne fournit une liste. 

On ne pourrait pas voir l'arrivée d'un Roquefort de Sept-Îles ou d'un Morbier de Wabush, par exemple, car ces deux fromages font partie des noms chouchous qui se retrouvent sur la liste de l'entente. Les noix de Grenoble, l'huile d'olive de Corse et le thym de Provence n'y ont pas trouvé leur place. 

Selon José Bové, l'Union européenne sacrifie 90 % de ses appellations d'origine protégées avec cet accord. 

Mobilisation en cours 

«Il y a donc un problème de droit puisque dans une démocratie, la loi doit être non discriminatoire, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence », précise l'adjoint de José Bové, Jean-Marc Desfilhes, joint par La Presse. Les producteurs de fromages dont les appellations n'ont pas été retenues sont déjà en train de préparer les dossiers nécessaires pour saisir la Cour européenne de justice, précise-t-il. 

«Malheureusement pour les agriculteurs français, la réponse est plus complexe que ce qu'on peut mettre sur une pancarte», dit Simon Potter, avocat spécialisé en droit du commerce et de l'investissement international au cabinet montréalais McCarthy Tétrault.

Selon M. Potter, le fait qu'un fromage ne se retrouve pas sur la liste en annexe de l'accord ne veut pas dire qu'il est orphelin de droits. «Certains produits reçoivent une attention particulière, précise Simon Potter. Il s'agit d'une liste prioritaire pour les États.» 

De la France, les fromages Comté, Reblochon, Roquefort, Camembert de Normandie, Brie de Meaux, Morbier et Bleu d'Auvergne sont protégés par l'entente. 

De l'Italie, les fromages Asiago, Fontina, Gorgonzola, Mozzarella di Bufala et Parmigiano Reggiano sont dans le texte. 

Selon Simon Potter, bien qu'ils ne soient pas cités, si un fabricant québécois décidait de se lancer dans le Brillat-Savarin ou dans les saucissons de l'Ardèche, il serait vite embêté. «On ne peut pas leurrer le public», dit l'avocat. 

Et l'agneau de Charlevoix? 

Si l'Europe, et particulièrement la France, a une solide tradition d'appellations protégées, ce n'est pas le cas au Canada ni même au Québec, où seulement trois produits bénéficient d'une indication géographique protégée : l'agneau de Charlevoix ainsi que le cidre et le vin de glace. Le fromage de vache de race canadienne vient de recevoir une appellation de spécificité québécoise. 

Aucune de ces indications québécoises ne se trouve dans l'entente commerciale Canada-Union européenne. On pourrait donc faire de l'agneau de Charlevoix en Provence. Hormis le fait que ce soit hautement improbable, la même logique de protection commerciale prévaudrait et mettrait des bâtons dans les roues de l'excentrique qui tenterait le coup.

***

DES APPELLATIONS SUR LA LISTE DE L'ACCORD 

- Les olives Kalamata et la feta de Grèce 

- Les citrons de Valence 

- Le vinaigre balsamique de Modène 

- Le fromage Manchego d'Espagne 

- Le jambon de Bayonne 

- Les lentilles du Puy 

- Le piment d'Espelette 

- Les fromages Gouda et Edam des Pays-Bas 

- Le jambon speck et le prosciutto de Parme