Exaspérés par «l'aveuglement volontaire» du gouvernement Trudeau à l'égard des importations de lait diafiltré, les producteurs québécois ont prévenu mardi que leur patience a «atteint ses limites».

Si Ottawa n'intervient pas, ils promettent d'augmenter rapidement la pression, notamment avec des manifestations comme celle ayant réuni lundi près de 400 producteurs à Granby.

«C'est dommage que l'on soit obligé d'en arriver là pour une question qui pourrait se régler simplement», a déploré le président de l'Union des producteurs agricoles (UPA), Marcel Groleau, en conférence de presse à Montréal.

Celui-ci était accompagné du ministre québécois de l'Agriculture, Pierre Paradis, du président des Producteurs de lait du Québec, Bruno Letendre, du président de la coopérative Agropur, Serge Riendeau, ainsi que du président des Producteurs laitiers du Canada, Wally Smith, qui représentaient 59 transformateurs québécois.

Considéré comme du lait par l'Agence canadienne des aliments (ACIA), le lait diafiltré - surtout utilisé dans la fabrication des fromages - est considéré comme un ingrédient à la frontière, ce qui lui permet d'échapper aux tarifs douaniers imposés au lait, oeufs et volailles.

Cette incohérence, dénonce l'industrie, se traduit par une pression injuste sur les producteurs laitiers, qui voient leurs revenus fléchir considérablement.

«On peut parler de 8500 familles qui vivent de l'agriculture au Québec, a dit M. Groleau. Pour une famille moyenne, la perte est estimée à entre 15 000 $ et 18 000 $ par année. C'est entre 30 et 50 % des revenus d'une entreprise.»

Les représentants de l'industrie chiffrent à 220 millions $ les pertes liées aux importations de lait diafiltré en 2015, alors que les importations ont été de 32 000 tonnes, comparativement à environ 21 000 tonnes l'année précédente.

Cela s'ajoute aux concessions accordées par le Canada dans les accords de libre-échange avec l'Union européenne ainsi que le Partenariat transpacifique.

Le ministre québécois de l'Agriculture a estimé que son homologue fédéral Lawrence MacAulay - un ancien agriculteur - avait le «coeur et la tête à la bonne place», mais que ce dernier ne pouvait tout faire seul.

«Il y a quatre ministères impliqués (Sécurité publique, Agriculture, Commerce extérieur et Santé), a dit M. Paradis. Il relève donc de la responsabilité du premier ministre Trudeau de prendre la décision qui s'impose.»

À maintes reprises, les cinq représentants ont répété qu'ils ne voulaient pas une nouvelle réglementation, mais seulement le respect des normes fromagères. La coalition a également fait remarquer que le lait diafiltré n'était même pas utilisé dans la production fromagère au sud de la frontière.

De son côté, le ministre MacAuley a réitéré, par l'entremise de son directeur des communications, que l'enjeu était important pour le gouvernement Trudau.

«Ce dossier (...) est considéré comme une priorité pour notre gouvernement, a-t-il indiqué par courriel. Il est le premier dossier à être étudié par le Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire.»

Advenant des changements, le président d'Agropur, Serge Riendeau, a assuré que la coopérative cesserait ses importations de lait diafiltré, qui représentent actuellement entre 10 et 12 % de la quantité totale qui entre au pays.

Il a également fait valoir qu'à son avis, un meilleur encadrement des normes fromagères ne ferait pas grimper la facture des produits vendus sur les tablettes des épiceries.

Par ailleurs, l'absence des deux autres plus gros joueurs de l'industrie laitière au pays, Saputo et Parmalat, a été remarquée, d'autant plus qu'ils ne figurent pas dans la liste des 59 transformateurs représentés par la coalition.

Les deux entreprises - qui importent du lait diafiltré - n'ont pas reçu d'invitation, ont indiqué les représentants de la coalition.

Cela n'a pas empêché le président de l'UPA de laisser entendre qu'il y avait un certain «manque de loyauté» de la part de certains gros joueurs qui ont recours aux protéines laitières.

«Je les interpelle à ce sujet, a dit M. Groleau. À écraser et presser les producteurs, on ne bâtit pas une filière laitière forte. On travaille peut-être à court terme pour les résultats du prochain trimestre, mais pas pour le long terme.»