Les principales sociétés québécoises d'achat et d'exploitation de terres cultivées comme les Pangea, Partenaires agricoles et Investerre ont acquis jusqu'à maintenant près de 17 000 acres de terres en culture dans diverses régions, dont la valeur marchande avoisine les 50 millions, selon les estimations de La Presse Affaires.

Cela équivaut à 1% de la superficie des terres de grandes cultures au Québec.

À partir de cette base, les trois entreprises souhaitent continuer de se développer selon leur plan d'affaires respectif, et malgré les critiques auxquelles elles font face dans certaines régions.

«Des syndicalistes agricoles nous décrivent comme des fonds d'investissement de spéculation foncière en terres cultivées, qui menacent le modèle traditionnel des fermes familiales au Québec. Mais c'est complètement faux!», affirme d'emblée Serge Fortin, directeur général de Pangea, lors d'un entretien avec La Presse Affaires.

«En fait, nous sommes une société d'activités agricoles qui est là pour le long terme, dont le plan d'affaires est l'achat de terres de bonne taille, à juste prix, afin d'y effectuer des grandes cultures comme les céréales. Et pour y parvenir, nous nous associons à des agriculteurs déjà établis qui souhaitent accroître leurs récoltes de grains ou de plantes fourragères [foin] sans devoir acheter d'autres terres et s'endetter trop lourdement.»

Producteur agricole dans Lanaudière, Serge Fortin s'est associé il y a quelques années avec un entrepreneur québécois de renom et fortuné, Charles Sirois, pour créer Pangea. Leur but à long terme: investir dans des actifs d'exploitation dans un secteur au potentiel quasiment assuré: l'agriculture. En particulier les grandes cultures végétales pour l'alimentation humaine et animale.

Et l'an dernier, la Banque Nationale, qui avait commencé à investir dans des terres cultivées au Lac-Saint-Jean, s'est jointe au capital de Pangea en lui versant son actif terrien.

Aujourd'hui, Pangea figure en tête des principales sociétés québécoises d'achat et d'exploitation de terres en culture. Son actif se compose de 9500 acres en terres cultivées et de 4 centres de traitement des grains dans 3 régions: au Lac-Saint-Jean surtout, dans Lanaudière et en Estrie.

Depuis quelques mois aussi, Pangea s'est implantée dans l'est de l'Ontario avec l'acquisition de 1000 acres de terres cultivées de haute qualité.

«C'est une diversification géographique qui nous permettra notamment de mieux gérer le risque d'intempéries et de variation de rendement des récoltes selon les régions», explique Serge Fortin.

Pour la suite, Pangea a d'autres ambitions agricoles et... industrielles!

Au cours des prochains trimestres, elle prévoit concrétiser d'autres projets d'achat de terres en culture et de partenariats avec des agriculteurs qui veulent accroître leurs récoltes.

Par ailleurs, Pangea prépare une expansion de ses capacités de première transformation des récoltes effectuées sur ses terres, qui se limitent pour le moment à quatre centres de manutention et de stockage des grains.

«Nous envisageons d'investir dans la production de farines et de flocons céréaliers, qui s'ajouterait à nos centres de grains. Ce serait aussi une façon d'accroître la valeur ajoutée de nos récoltes dans leur région même de production», selon Serge Fortin.

Recherche de capitaux

Chez Partenaires agricoles aussi, le développement d'une première transformation des récoltes figure dans le plan d'affaires à moyen terme. Mais ces temps-ci, la priorité de ses dirigeants est de boucler d'ici deux mois sa deuxième émission de titres de capital, afin d'ajouter à sa base de 17 millions constituée depuis 4 ans.

Cette deuxième émission vise à recueillir «entre 30 et 50 millions» auprès d'une demi-douzaine d'investisseurs institutionnels et de particuliers fortunés, explique Clément Gagnon, cofondateur et conseiller principal de Partenaires agricoles.

Avec ces nouveaux capitaux, la société espère avoir les moyens financiers et techniques de doubler à près de 5000 hectares sa superficie de terres cultivées. Et cette expansion est ciblée dans ses régions de prédilection depuis ses débuts - Beauce, Bois-Francs, Mauricie, Témiscamingue - en raison surtout du meilleur rapport qualité-prix de leurs terres cultivées.

«Selon le ministère québécois de l'Agriculture, il y a quelque 115 000 hectares de bonnes terres au Québec qui risquent d'être délaissés parce que, notamment, leur propriétaire exploitant n'a pas de relève», explique Clément Gagnon.

«C'est surtout dans ce genre d'actif terrien que Partenaires agricoles veut investir pour y effectuer de grandes cultures, et non pas à des fins de spéculation foncière comme certains le prétendent dans le milieu agricole.»

Chez Investerre, pendant ce temps, le président Denis Rivest mentionne que l'entreprise qu'il a fondée avec ses deux associés de longue date chez Hexavest, une firme de placements boursiers de Montréal, veut s'en tenir à la propriété de terres dont la culture peut être entièrement gérée par leur autre associé: Michel Therrien, un entrepreneur agricole de la région de Nicolet.

«Nous pourrions ajouter quelques parcelles de terre au fil des occasions qui se présentent, mais seulement si elles correspondent à nos capacités de production et à nos critères d'efficacité et de proximité avec ce que nous avons déjà en culture», explique le président d'Investerre.

«Nous n'envisageons pas non plus d'acheter des terres dans d'autres régions que le Lac-Saint-Jean parce que c'est la région où notre associé agricole, Michel Therrien, est actif depuis plusieurs années comme possédant terrien et producteur de céréales.»

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RÉFLEXIONS SUR UN NOUVEAU MODÈLE D'AFFAIRES

«Le phénomène d'accaparement des terres [par des investisseurs] peut expliquer la hausse fulgurante et soudaine de la valeur des terres dans une région. Or, l'accès aux terres est déjà un enjeu de taille pour les jeunes de la relève, et l'accaparement limite encore plus leurs chances de devenir propriétaires.» - Marcel Groleau, président général, Union des producteurs agricoles (UPA), extrait d'un éditorial paru le 22 octobre dans le journal La Terre de chez nous.

«Plusieurs intervenants du milieu agricole s'inquiètent de la possibilité de voir des investisseurs s'accaparer des parts importantes du marché des terres agricoles au Québec. Au rythme auquel se font les acquisitions, cette hypothèse nous apparaît peu probable.» - Guy Debailleul, chercheur et professeur au Département d'économie et de gestion agroalimentaire de l'Université Laval et Jean-Philippe Meloche, chercheur et professeur à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal, extrait du rapport Acquisition des terres agricoles par des non-agriculteurs au Québec.

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TROIS FIRMES

PANGEA

Bureaux administratifs: Montréal et Repentigny

Actif d'exploitation: 9500 acres de terres cultivées et 4 centres de traitement des grains

Valeur estimée de l'actif terrien1:

34 millions

Principaux investisseurs: Charles Sirois, Banque Nationale, Serge Fortin

Principaux dirigeants:

Charles Sirois, Serge Fortin

PARTENAIRES AGRICOLES

Siège administratif: Pointe-Claire

Actif d'exploitation: 4940 acres de terres cultivées

Valeur estimée de l'actif terrien1: 14 millions

Principaux investisseurs: sept investisseurs institutionnels et particuliers-investisseurs québécois

Principaux dirigeants: Éloïse Gagnon, Clément Gagnon

INVESTERRE

Siège administratif: Longueuil

Actif d'exploitation: 2500 acres de terres cultivées

Valeur estimée de l'actif terrien1:

3,3 millions

Principaux actionnaires: Vital Proulx, Denis Rivest, Robert Brunelle, Michel Therrien

Principaux dirigeants:

Denis Rivest, Michel Therrien

1. Valeur estimée à l'aide du relevé annuel de la valeur des terres en cultures, de La Financière agricole du Québec

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LES TERRES CULTIVÉES DU QUÉBEC

Valeur moyenne des transactions des terres cultivées: 12 687$ par hectare (2013)

Variation de la valeur moyenne des transactions des terres cultivées en 5 ans: + 69%

Sources: La Financière agricole du Québec, sociétés citées, Registre des entreprises

Terres cultivées les plus chères

> Montérégie (22 338$/ha)

> Lanaudière (19 410$/ha)

> Basses-Laurentides (15 992$/ha)

Terres cultivées les moins chères

> Abitibi (1622$/ha)

> Bas-Saint-Laurent (3103$/ha)

> Région de Québec (4860$/ha)