Dans les Super C de Joliette et Saint-Lin, on trouve depuis quelques mois des tartinades au chocolat et à la fleur de sel, des gelées au porto ainsi que du ketchup maison, tous préparés par des PME de Lanaudière.

Cette rencontre inusitée entre produits fins et supermarchés axés sur les bas prix découle de la politique d'achat local de Metro, adoptée en mai 2013. C'est la première initiative du genre dans la grande distribution alimentaire au Canada.

«L'objectif, c'est de différencier notre offre dans un environnement très concurrentiel pour les grandes surfaces, où on se bat beaucoup sur les prix, explique Marie-Claude Bacon, porte-parole de Metro. Ça permet aussi de renforcer les capacités concurrentielles des producteurs locaux.»

En 2013, les ventes des marchés d'alimentation ont reculé de 1,1% au Québec en raison notamment de la concurrence accrue des magasins généralistes comme Walmart. Les ventes d'aliments et de boissons de ces derniers ont bondi de 11,1% l'an dernier. D'où la volonté des supermarchés de se démarquer.

Dans la foulée de sa politique, Metro a lancé des projets-pilotes qui facilitent l'accès aux producteurs et aux transformateurs locaux à quelques magasins corporatifs et franchisés des régions de Lanaudière et de Chaudière-Appalaches. Jusqu'ici, plus de 200 nouveaux produits d'une trentaine d'entreprises sont entrés dans les supermarchés sélectionnés.

Chez Sobeys-IGA et Loblaws-Provigo, on ne sent pas le besoin d'adopter une politique semblable à celle de Metro. «On fait affaire avec les producteurs régionaux de façon naturelle, on n'a pas à mettre ça par écrit», soutient Yvan Ouellet, vice-président responsable des produits périssables chez Sobeys Québec.

Il faut dire qu'IGA mise sur les produits québécois depuis plusieurs années. Chez Loblaws, on a véritablement pris le virage l'an dernier avec l'inauguration des premiers magasins Provigo Le Marché, qui mettent en vedette les produits régionaux. «Avant chaque ouverture d'un Provigo Le Marché, on fait une foire régionale des fournisseurs et on découvre des produits exceptionnels», affirme Charles Valois, vice-président responsable de la mise en marché pour les supermarchés Provigo et Loblaws au Québec. Ces foires, jumelées à une simplification des procédures à l'intention des PME, ont permis à Loblaws de recruter près de 200 nouveaux fournisseurs québécois au cours des derniers mois.

Ce sont généralement les marchands-propriétaires qui effectuent le plus d'achats directement auprès des producteurs de leur région. Les chaînes auxquelles ils sont affiliés leur imposent toutefois une limite équivalant le plus souvent à 10% de leur chiffre d'affaires. Pour leur simplifier la tâche (et accroître leurs propres revenus), les chaînes ont graduellement fait entrer dans leurs entrepôts les produits de plusieurs entreprises régionales, notamment de la viande biologique, ce qui permet aux marchands d'encourager d'autres PME avec leur marge de manoeuvre de 10%.

Dans les marchés publics, on ne s'inquiète pas de l'offensive des supermarchés dans le créneau des produits régionaux. «Plus ces produits seront en demande, plus il y aura de nouveaux producteurs, ce qui permettra de diversifier l'offre. On en profitera, c'est sûr», dit Steve Gauthier, président de l'Association des marchés publics du Québec.

Une certaine méfiance

Certaines PME réagissent toutefois de façon mitigée. «Les distributeurs et les petits producteurs, ce sont deux mondes à part qui se regardent souvent avec incompréhension», relève Jean-Michel Bordron, directeur général de la Table agroalimentaire de la Chaudière-Appalaches, qui a collaboré avec Metro pour sa politique d'achat local.

Certaines PME refusent carrément de vendre aux grandes chaînes. «Il y a peu d'ambivalence: c'est «oui, ça m'intéresse» ou «non, je ne veux rien savoir de ces gens-là», rapporte M. Bordron. C'est assez tranché.» Chez ceux qui préfèrent passer par d'autres circuits, notamment la vente directe et les petites épiceries, il y a souvent la peur de «se faire manger» par les géants de l'industrie, confie-t-il.

S'il salue l'initiative de Metro, Jean-Michel Bordron estime qu'elle n'est pas encore tout à fait au point. «J'ai été abasourdi que ce soit nous qui apprenions le projet aux gestionnaires de magasins», lance-t-il. Pour l'instant, ajoute-t-il, «les volumes d'affaires sont anecdotiques». Chez Metro, on reconnaît les lacunes. On promet d'améliorer la communication interne et de mieux mettre en valeur les produits régionaux dans les magasins.

Il y a aussi du mécontentement du côté des agriculteurs. Depuis des années, ceux-ci se plaignent que les grandes chaînes importent massivement des fruits et légumes pour les vendre à rabais, alors que la saison des récoltes bat son plein ici. La situation est particulièrement critique cette année dans le segment des petits fruits.

«Les chaînes me disent: «Si t'es capable d'accoter le bleuet américain, je vais t'en acheter.» Mais le prix des Américains, ça ne paierait même pas ma cueillette, donc je laisse mes fruits dans le champ», déplore Nathalie Bruneau, de la Bleuetière Point du jour de Lavaltrie. Elle calcule que ses ventes sont en baisse de 40% cette année, principalement à cause des importations des États-Unis.

À l'Association des producteurs maraîchers du Québec, le directeur général, André Plante, indique qu'en raison de la vive concurrence, les chaînes négocient de façon de plus en plus serrée pour leurs achats de fruits et légumes, si bien que certains agriculteurs préfèrent désormais passer par d'autres canaux de distribution ou opter pour des cultures moins soumises aux aléas des marchés, comme les céréales.

Certains marchands se rangent derrière les producteurs. C'est le cas de Franck Hénot, propriétaire de l'Intermarché Boyer, sur le Plateau Mont-Royal, qui subit la concurrence de plusieurs fruiteries et épiceries fines. Plusieurs fois par été, M. Hénot se rend lui-même chez des producteurs pour être certain d'«être le premier» à avoir des fruits et légumes locaux.

«Ce qui me met le feu au derrière, c'est quand on est au début de juin et que ma chaîne annonce en circulaire des asperges du Chili ou du Pérou, lâche-t-il. Ça casse le marché!» L'an dernier, il a respecté la promotion décidée par Loblaws en remplaçant les asperges importées par des asperges du Québec, même si elles lui coûtaient plus cher. «J'ai mangé mes bas pendant une semaine, mais au moins je suis resté crédible.»

Marie-Claude Bacon, de Metro, justifie cette cohabitation par la volonté de donner plus de choix aux consommateurs. «Certains clients vont rechercher les produits du Québec, plus frais et goûteux, alors que d'autres trouvent leur compte avec les produits importés, offerts à moindre prix», note-t-elle.

Mme Bruneau et d'autres producteurs réclament que les gouvernements interviennent. Or, dans sa politique de souveraineté alimentaire, lancée l'an dernier, le précédent gouvernement péquiste avait refusé d'imposer des quotas de produits québécois aux détaillants. L'Association des détaillants en alimentation (ADA), qui représente les marchands-propriétaires, prônait une telle mesure en 2007, mais plus maintenant. «On ne va plus dans ce sens-là parce qu'on est maintenant satisfaits de l'ouverture d'esprit des distributeurs face aux produits régionaux», dit Florent Gravel, PDG de l'ADA.

Chez Metro, on juge que les projets-pilotes d'achat local amorcés plus tôt cette année ont été suffisamment concluants. La chaîne s'apprête à étendre l'expérience à la région du Centre-du-Québec. Et en 2015, elle s'attaquera au marché ontarien.

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Moins de subventions pour Aliments du Québec

Dans son premier budget, le gouvernement Couillard a réduit son aide à Aliments du Québec, laquelle s'élèvera à 860 000$ en 2015 contre près de 1 million l'an dernier. L'objectif de Québec est de faire passer de 40 à 50% le niveau d'autofinancement de l'organisme, explique sa directrice générale, Marie Beaudry.

La notoriété d'Aliments du Québec a bondi depuis que la comédienne Chantal Fontaine a commencé à en faire la promotion, en 2011. En quatre ans, le nombre de produits certifiés est passé de 11 000 à 16 500 et le nombre d'entreprises adhérentes, de 525 à 810.

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Produits locaux: quatre initiatives

1. Des concombres québécois toute l'année chez IGA

Au printemps, Sobeys, qui approvisionne les supermarchés IGA au Québec, s'est engagé à acheter toute la production des Serres Toundra de Saint-Félicien, dont les activités doivent débuter à l'automne 2015. Les concombres seront transportés dans les camions qui effectuent les livraisons de Sobeys au Saguenay-Lac-Saint-Jean. «Quand on dit que les grandes chaînes ne veulent pas aider les producteurs québécois, ce n'est pas vrai», lance le président de la jeune entreprise, Éric Dubé, qui travaillait auparavant comme économiste à la Banque Nationale.

2. Les paniers bio d'Équiterre chez Metro

Depuis 2012, Metro accepte que certains de ses magasins deviennent des points de livraison pour les paniers de légumes bio d'Équiterre. Cet été, 19 supermarchés participent au programme et font partie des 450 points de livraison répartis à travers le Québec. «C'est une occasion en or de faire connaître les produits biologiques locaux à un large public», dit Isabelle St-Germain, d'Équiterre.

3. Accès facilité chez Provigo-Loblaws

Sans adopter officiellement de politique d'achat local, Loblaws a récemment simplifié ses procédures pour les petits fournisseurs. Le géant ontarien n'exige plus qu'ils bonifient leur assurance-responsabilité pour faire affaire avec lui. Les frais de «référencement» ont aussi été éliminés pour eux. De plus, des membres de la direction québécoise de Loblaws tiennent régulièrement des téléconférences avec les petits fournisseurs afin de mieux connaître leurs besoins et de répondre à leurs préoccupations.

4. Walmart: les Supercentres offrent de nouveaux débouchés

Dans les mois précédant l'ouverture au Québec des premiers Walmart dotés d'un supermarché complet (Supercentres), en 2011, le mastodonte américain a ratissé la province pour trouver des fournisseurs locaux de produits alimentaires. À l'instar de Metro, Loblaws et Sobeys, Walmart permet aux PME de ne desservir que quelques magasins à la fois, en fonction de leur capacité de production. Le détaillant soutient que 25% des produits frais qu'il vend au Québec proviennent de producteurs d'ici.

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Frictions dans le mode des fraises

Voyant leurs parts de marché fondre, les producteurs de fraises du Québec souhaitent créer un office de promotion pour mieux rejoindre les consommateurs. Mais leur projet suscite une levée de boucliers.

Dans une proposition soumise en décembre dernier au Conseil des produits agricoles du Canada (CPAC), l'Association des producteurs de fraises et de framboises du Québec souligne que la production canadienne de fraises recule depuis les années 90 au détriment des importations, des États-Unis principalement. Le Québec représente plus de la moitié de la production canadienne.

Au cours des 20 dernières années, la consommation de fraises fraîches a doublé au Canada, passant de 2 à 4 kilos. Mais ce sont surtout les importations qui ont comblé - voire créé - cette demande: elles occupaient pas moins de 87% du marché l'an dernier, contre 52% en 1995.

L'office proposé par les producteurs ferait la promotion des fraises, tant celles d'ici que celles venant d'ailleurs. Doté d'un budget annuel de 2,2 millions, il serait financé à la fois par les producteurs canadiens et les importateurs en fonction de leur volume d'affaires respectif. C'est là que le bât blesse: les importateurs devraient assumer 87% de la facture.

Les importateurs s'opposent donc au projet, tout comme les producteurs californiens et les détaillants. Le Conseil canadien du commerce de détail affirme qu'il se traduirait par une hausse de prix pour les consommateurs. Mais il y a plus.

«Nous voulons soutenir la production locale et nous le faisons autant que nous le pouvons, mais cela représente un immense défi, compte tenu du fait que la durée de vie des fraises d'ici ne respecte pas nos normes de qualité», a écrit une vice-présidente de Costco, Janet Shanks, dans une lettre envoyée au CPAC en mars.

Sous le couvert de l'anonymat, un producteur québécois avance que les fraises d'ici auraient la même longévité que celles provenant des États-Unis si tous les pesticides utilisés là-bas étaient autorisés ici.

Au printemps, le CPAC a tenu des audiences publiques sur le projet d'office. Une décision pourrait être rendue cet automne dans ce dossier.

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L'industrie en chiffres



33%

Part des aliments des Québécois qui provient des fermes d'ici

8,2 milliards

Recettes des agriculteurs québécois en 2013, en baisse de 1,6% par rapport à 2012

470 100

Nombre de personnes employées dans l'industrie bioalimentaire québécoise en 2013, en baisse de 1% par rapport à 2012 soit:

200 200 dans les restaurants et bars (+ 0,9%)

123 000 dans les magasins d'alimentation (- 1,6%)

61 300 chez les transformateurs (- 3,6%)

54 500 chez les agriculteurs (- 4%)

27 600 chez les grossistes-distributeurs (- 0,4%)

3500 dans les pêches (-2,9%)

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Ventes d'aliments et de boissons au Québec en 2013

37,8 milliards (1,6% de plus qu'en 2012)

Restaurants, bars, hôtels et institutions 13,3 milliards (+2,7%)

Commerce de détail 24,5 MILLIARDS (+1,1%)

Restaurants à service complet 5,5 milliards (+2,3%)

Restaurants à service restreint 3,8 milliards (+4,6%)

Institutions et autres 3,4 milliards (+2,1%)

Bars 632,4 millions (-4,7%)

Magasins d'alimentation 19,7 milliards (+1,1%)

Autres magasins 4,8 milliards (+4,6%)

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Livraisons des transformateurs alimentaires québécois en 2013

Les livraisons totales ont reculé de 1,3% en 2013 pour atteindre 22,7 milliards. La baisse est surtout attribuable aux secteurs des conserves, produits de viande, de la boulangerie, des aliments pour animaux et des produits laitiers

Produits laitiers : 47 milliards

Produits de viande : 4,6 milliards

Boissons et tabac : 3,8 milliards

Aliments et animaux : 2,1 milliards

Boulangerie : 1,9 milliard

Autres aliments : 1,9 milliard

Conserves de fruits et légumes : 1,3 milliard

Sucre et confiserie : 1,2 milliard

Céréales et oléagineux : 761 millions

Poissons et fruits de mer : 383 millions

Sources : ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec, Union des producteurs agricoles