Affalée dans un bar mexicain de Washington, Maria hoquette: «utiliser du citron à la place de la lime dans une margarita, c'est comme prendre de l'ail pour des oignons». Ces jours-ci, les amateurs américains de margaritas boivent la tasse. La faute au citron vert mexicain, vendu à prix d'or.

«Les prix ont commencé à flamber en mars. Avant, le cageot de 200 citrons verts (limes) nous coûtait 45 dollars. Puis il est passé à 85 dollars. Aujourd'hui il vaut 160 dollars», souffle Joahna Hernandez, gérante de Casa Oaxaca, un restaurant mexicain de Washington.

Hors de question d'augmenter le prix de la margarita, le cocktail national mexicain à base de tequila et de citron vert, pour «ne pas affecter nos clients».

Mais la bouteille de Corona, la bière mexicaine par excellence, n'est plus ornée de la célèbre tranche de citron vert. «Maintenant, on utilise des tranches de citron jaune», confie Joahna.

«C'est pas la même chose», soupire Maria qui sirote une margarita au zinc. «Tant qu'il y a de l'alcool...», lui répond son ami Luis.

Chez «Don Juan», un bistrot populaire où immigrés salvadoriens et mexicains s'encanaillent au son de ballades chantées à tue-tête, Juanita n'a pas peur de bousculer l'orthodoxie gastronomique.

«Le citron vert est tellement cher qu'on est obligé d'utiliser du concentré» pour les cocktails, confie la serveuse à la crinière blonde. «Et maintenant, il faut que le client nous demande la tranche de citron vert, sinon on ne lui propose pas».

Quelque 95 % des citrons verts consommés aux États-Unis proviennent du Mexique. Et quand ils sont atteints par des infections, comme c'est actuellement le cas, c'est la totalité de la chaîne de distribution qui se grippe.

Champignons et narcotrafiquants

La petite forme des plantes est due entre autres aux inondations dans les États d'Oaxaca, Veracruz et Michoacan, comme le souligne Jonathan Crane, professeur à l'université de Floride et spécialiste des agrumes.

«Le mauvais temps accroît les problèmes de champignons. Les inondations favorisent les infections aux racines. Une forte humidité engendre des infections des fleurs, des feuilles et des fruits», explique-t-il à l'AFP.

Et surtout, signe des temps, les cartels de la drogue mexicains ont commencé à trouver un attrait financier qu'ils ne connaissaient pas au citron vert jusqu'ici.

Les trafiquants font avec le citron vert «ce qu'ils ont déjà fait avec l'avocat. Ils s'approprient les cultures et contrôlent des communautés entières. Ils se mettent à contrôler la production de citron vert», explique Joahna Hernandez.

Ils profitent aussi de ce que les États-Unis n'imposent plus de standard de qualité sur les citrons verts à l'importation. «J'extrapole, mais disons que si je cherchais à blanchir de l'argent, et qu'aucun critère de qualité n'existait, je vendrais n'importe quelle espèce de citron vert et je me ferais une tonne d'argent», renchérit M. Crane.

Du coup, la loi de l'offre et de la demande joue à plein et «voyant la pénurie qui se profilait, les distributeurs ont conservé le peu qu'ils avaient et le vendent maintenant au prix le plus élevé possible», note Joahna Hernandez.

«Les cartels contrôlent désormais, de façon alarmante, la culture et l'empaquetage d'une bonne partie des fruits et légumes mexicains dont dépendent les consommateurs américains», remarquait d'ailleurs le New York Times fin mars.

Mais le cas d'école du citron vert est d'autant plus remarquable pour les Américains, grands amateurs de cuisine mexicaine, qu'il entre aussi dans la composition de mets comme le ceviche, du poisson cru mariné dans du jus de citron vert, du guacamole et des tacos.

«Le citron vert est un ingrédient essentiel de la cuisine mexicaine. Essentiel», souligne Lou Temprosa, chef cuisinier chez Centro DF, une institution à Washington.

«On peut s'en sortir sans citron vert, mais moi ce que j'aime c'est l'authenticité», dit-il et d'assurer qu'il n'a pas modifié ses plats malgré la pénurie.

«Nos prix n'ont pas augmenté. C'est nous qui absorbons les coûts supplémentaires», soupire-t-il.