Dès l'âge de 19 ans, Marco Richard engraissait 185 veaux de lait. Vingt ans plus tard, le producteur et sa conjointe élèvent 1350 veaux et... 4 enfants.

« Je suis passionné par mon métier, dit l'agriculteur de Sainte-Brigitte-des-Saults, dans le Centre-du-Québec. Les petits veaux, ce sont nos bébés. »

M. Richard produit pour l'intégrateur Écolait. « C'est Écolait qui nous fournit la marge de crédit pour produire les veaux, alors on s'engage à les vendre à Écolait », résume-t-il. La situation est avantageuse, selon lui, puisqu'elle lui assure que tous ses animaux ont une place à l'abattoir, ce qui n'est pas évident pour les producteurs indépendants.

Élever au moins 500 veaux

« Le veau de lait, c'est la production la plus payante pour 100 000 $ d'investissement », soutient M. Richard. Si de nombreux élevages font faillite, « c'est peut-être parce que n'importe qui peut acheter une ferme de veaux, comparativement aux fermes porcines ou laitières, avance-t-il. Ils produisent des veaux sans vraiment avoir l'expertise ».

Un couple qui veut vivre de la production de veau de lait doit élever au moins 500 bêtes, estime-t-il. « Ça prend de l'efficacité avant tout, souligne M. Richard. Si mes enfants veulent prendre la relève, ils vont devoir étudier en gestion. On n'a pas le choix, on est des businessmen. »

Le drame de Jean Côté

Le veau de lait a laissé un goût amer dans la bouche de Jean Côté. Sa conjointe Pascale Cardin et lui poursuivent l'intégrateur Écolait, dont le contrat abusif aurait détruit leur vie, selon la requête présentée en Cour supérieure.

C'est en 2003 que le couple s'est lancé dans la production de veau de lait, à sa ferme de Saint-Félix-de-Kingsey, près de Drummondville. « J'ai contracté un prêt à la Banque Nationale et signé le contrat de l'intégrateur, se souvient M. Côté. J'avais 425 veaux de lait. »

Au bout d'un an, le couple s'est aperçu que son élevage était déficitaire. Écolait « contrôlait tout, du petit veau jusqu'à l'abattoir, et surfacturait tout, dit M. Côté. Rien n'était négociable ». Les déficits étaient importants : 131 000 $ en 2003, 189 000 $ en 2004, 53 000 $ en 2005...

Pour éponger une partie des dettes, Écolait encaissait les compensations que l'assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA) aurait dû verser au couple. Année après année, le scénario se répétait, mais les éleveurs croyaient que de meilleurs jours viendraient.

« J'avais travaillé toute ma vie pour acheter une terre, je ne voulais pas la perdre, explique M. Côté. J'espérais toujours m'en sortir, mais je creusais mon trou. »

Écolait a repris leur ferme

En 2008, le couple a dû se résoudre à vendre sa ferme à Écolait. « Je suis tombé locataire chez nous, dit avec rancoeur M. Côté. J'ai essayé de continuer, pour reprendre ma ferme. » Mais l'histoire a mal fini : dépressifs, l'homme et la femme ont tout abandonné en octobre 2010.

« Après avoir signé le contrat avec l'intégrateur, on s'aperçoit qu'on est juste un salarié, un prête-nom, autrement dit, pour aller chercher l'ASRA », affirme M. Côté. Plus chanceux, d'autres éleveurs ont bénéficié « de radiations de dette », observe-t-il.

« J'ai travaillé sept jours sur sept, souligne l'ex-éleveur. Mon revenu était de 20 000 $ par année. Je n'ai jamais pris l'avion pour aller dans le Sud, moi... »

Écolait ne souhaite pas donner sa version des faits. « Vous comprendrez que nous n'émettons aucun commentaire et laissons les procédures en cours se poursuivre », indique Yves Barbet, directeur général d'Écolait. Le procès doit avoir lieu en novembre 2015 ; M. Côté et Mme Cardin réclament 3,4 millions à Écolait.