Seulement depuis l'an 2000, les producteurs de veau de lait ont reçu plus de 240 millions de dollars de Québec. Une large part de cette aide financière va à deux barons du veau, alors que les éleveurs indépendants vivent une période de vaches maigres. Faut-il soutenir David ou tout miser sur Goliath ?

Déficitaires, les producteurs de veau de lait du Québec le sont année après année, depuis 1987. En 26 ans, le gouvernement provincial a dû verser plus de 315 millions de dollars dans le fonds d'assurance stabilisation des récoltes agricoles (ASRA) pour compenser les pertes en production de veau de lait. Seulement depuis cinq ans, la contribution publique s'élève à 100 millions.

« Le fameux veau de lait, c'est une vache sacrée au Québec, estime Sylvain Charlebois, vice-doyen à la recherche et aux études supérieures au Collège en management et études économiques de l'Université de Guelph. Vraisemblablement, cette industrie méconnue du grand public n'existerait pas sans le soutien de l'État. »

« Nos producteurs de veau de lait ne sont pas concurrentiels, confirme Bruno Larue, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en commerce international agroalimentaire et professeur à l'Université Laval. Notre programme d'assurance revenu est, en fait, une mesure systématique de soutien. »

En 2011, le prix courant pour un veau de lait était de 751,16 $, selon la Financière agricole du Québec. Or, produire ce même veau chez nous coûtait... 194,59 $ de plus. La ferme modèle, élevant 825 veaux par an, a donc reçu une compensation de 160 536,75 $ pour l'année. Tel que le prévoit le programme d'ASRA, le tiers de la prime d'assurance a été payé par le producteur, qui a tout de même touché un paiement net de 106 000 $ pour 2011.

Moitié de la production exportée

Cette aide de l'État, « c'est ce qui permet de mettre du veau de lait dans votre assiette pour moins cher », fait valoir Daniel Lajoie, producteur de veau de lait à Sainte-Hélène-de-Kamouraska, en partenariat avec Écolait. « Ça garantit aussi un revenu aux producteurs. Mais on pourrait faire autrement, par exemple en donnant des subventions à l'exportation, comme le font d'autres pays. » Près de la moitié du veau de lait québécois est mangée en dehors du Canada.

Attention : les petits producteurs ne s'offrent pas des étables en or grâce à l'ASRA. « C'est comme un gros chèque d'aide sociale », dit sans ambages André Lussier, petit producteur indépendant à Saint-Dominique, qui préférerait vendre ses animaux au juste prix. « On vient à bout de faire nos paiements et d'avoir un salaire pour vivre, dit-il. Mais on ne fait pas vraiment d'argent. »

Solution : grossir son élevage

Pour tirer un revenu décent de la production de veau, il faut en élever toujours plus. Comme la compensation est versée par tête, « plus la production est élevée, plus le chèque d'ASRA va être important », résume M. Larue. Or, grâce aux économies d'échelle, le coût par unité est moindre dans les grandes fermes, qui se retrouvent à toucher des bonis, dénonce-t-il.

Faut-il plafonner l'aide financière versée par ferme, au risque de décourager les plus efficaces et ambitieux ? Ou n'assurer que le coût de production des meilleures fermes, ce qui forcerait les autres à s'améliorer ou à abandonner ? Déjà, le Québec ne comptait que 159 producteurs de veau de lait assurés en 2012. C'est 100 de moins qu'il y a 10 ans.

Embellie en 2012

Les prix des veaux de lait ont été élevés en 2012, si bien que la compensation versée par l'assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA) a été réduite à 70 $ par veau. « Ce n'est pas zéro, mais c'est moins que par les années antérieures, note Bruno Larue, de l'Université Laval. C'est tant mieux, car on ne peut pas dire à ce moment-là que les intégrateurs se sont enrichis sur le dos des contribuables. »

Bonne nouvelle : 2013 pourrait être une autre période de vaches grasses. « Ça s'annonce un peu comme 2012 », dit Jean-Philippe Deschênes-Gilbert, directeur général de la Fédération des producteurs de bovins.