Le Danemark compte 5,5 millions d'humains et... 30 millions de porcs produits par an, sans subventions. Ce cochon est apprécié partout dans le monde: la valeur des exportations de porc danois a atteint 5,5 milliardsCAN en 2011, cinq fois plus que les exportations de porc du Québec. Une production québécoise pourtant subventionnée à coup de centaines de millions depuis des années. Comment les Danois font-ils pour être aussi bons dans le cochon?

À Noël, les Danois se réunissent autour d'un rôti de porc. Presque tous les midis, ils tartinent leur pain de seigle de leverpostej, pâté de foie et lard de porc. Et dans le cadre de concours télévisés au Danemark, il ne faut pas s'étonner qu'un des prix à gagner soit... un porc entier.

«Les Danois adorent le porc», dit Peter Maahn Sterkenburg, fier Copenhaguois qui se déplace en vélo et travaille dans l'industrie du web. «Quand la grippe porcine a fait craindre une pénurie de leverpostej, les gens ont paniqué. C'était la manchette des bulletins d'information!»

Il y a trois fois plus de porcs que d'humains au Danemark (cheptel porcin de 18,9 millions de têtes, comparativement à 5,5 millions d'habitants), dans un territoire... 40 fois plus petit que le Québec. C'est évidemment trop pour le marché intérieur, aussi fou du cochon soit-il.

Résultat: le petit Danemark est l'un des plus importants exportateurs de porc du monde, avec 90% de sa production vendue dans 140 pays. La valeur de ces exportations de viande porcine a atteint 5,5 milliardsCAN en 2011, cinq fois plus que celles du Québec.

«Le Danemark a une excellente réputation comme source fiable de porc de haute qualité, indique Kees de Lange, professeur au département de sciences animales de l'Université de Guelph, en Ontario. Il exporte beaucoup, comme le Canada, si bien que c'est l'un de nos concurrents.»

Qu'est-ce qui explique le succès danois? «Tradition et compétence, répond Martin Andersson, du Centre de recherche porcine danois (Videncenter for Svineproduktion), rencontré à Copenhague. Les éleveurs se basent sur des faits et de la science.»

Cela leur permet de faire de la viande à bas coût - c'est particulièrement vrai pour les porcelets, produits 20$ de moins chacun qu'en Allemagne. «Et ce, même si la vie est chère chez nous et que les lois en matière d'environnement et de bien-être animal sont contraignantes», note M. Andersson. Les éleveurs ne peuvent pas compter sur les subventions. «Il n'y en a pas en production porcine», dit l'expert.

Les truies danoises sont très productives, avec chacune 28,1 porcelets sevrés par an en 2010, comparativement à 22 au Québec. Les fermes sont de bonne taille: 50% des porcs sont gardés avec plus de 5000 de leurs congénères. La majorité (60%) des éleveurs de porc produisent eux-mêmes les aliments de leurs animaux, un atout quand le prix des céréales explose, comme l'été dernier.

Coordination horizontale et verticale

Autre clé du succès: les producteurs danois collaborent constamment entre eux. «La situation du Danemark est unique, souligne M. de Lange. L'industrie porcine y est bien coordonnée: elle fonctionne sous plusieurs aspects comme une coopérative nationale, bien qu'elle soit formée de fermes familiales.» La concurrence n'est pas à l'intérieur du pays, mais avec l'étranger.

Alors qu'au Québec, à peine 45% des porcs sont désormais produits par des fermiers indépendants, les éleveurs danois sont toujours maîtres chez eux. Neuf mille producteurs de porc et de b_uf sont propriétaires de Danish Crown, leader de l'abattage et de la transformation en Europe (voir autre texte). Et 300 autres éleveurs de porcs sont membres de la coopérative Tican.

Les producteurs de porc danois excellent «parce qu'ils sont coordonnés horizontalement et verticalement, corrobore Sylvain Charlebois, aussi professeur à l'Université de Guelph. Cela force les acteurs à établir une stratégie cohérente pour l'ensemble de l'industrie et cela leur permet d'être beaucoup plus flexibles, dans un environnement de plus en plus imprévisible».

Exode des porcelets

Tout n'est pas rose, même s'il s'agit de cochons. Les six dernières années ont été difficiles, étant donné le bas prix de la viande et celui élevé des céréales. La crise financière a réduit l'accès aux emprunts, alors que beaucoup de producteurs danois étaient déjà lourdement endettés. Un quart des fermes porcines ont fermé leurs portes depuis 2007, même si la production totale du pays a augmenté. Autour de 15% des éleveurs actuels quitteront le secteur au cours des prochaines années, prévoit le Centre de recherche porcine danois.

Autre problème: le Danemark «perd» des porcelets, envoyés en Allemagne, où l'engraissement coûte moins cher. Huit millions de porcelets danois ont été exportés en 2011, comparativement à seulement 5,3 millions en 2008.

«On vend un porcelet 80$, au lieu d'exporter pour 300$ de viande de porc, déplore M. Andersson. C'est une perte de revenus et d'emplois pour la société. Mais beaucoup de Danois ne le réalisent pas: ils pensent qu'on devrait vivre du travail créatif, du design, des biotechnologies. Il faut leur dire qu'on exporte pour 5,5 milliards de viande porcine par an pour qu'ils reconnaissent l'importance de notre industrie.»

Du porc danois chez nous



Même le Canada importe du porc danois: 2647 tonnes d'une valeur de 12,6 millionsCAN en 2011. Le cochon canadien n'est, quant à lui, pas exporté au pays de la reine Margrethe II, ce qui pourrait changer avec un accord de libre-échange Canada-Europe. «Au Canada, on produit ce qu'on veut produire, en espérant que la demande vienne, déplore Sylvain Charlebois, professeur à l'Université de Guelph, en Ontario. Il faut être plus stratégique, de la génétique jusqu'au détail.» Comme les Danois...

Très cochons, les Danois

Les Danois consomment 53,4 kg de porc par an, par habitant. C'est deux fois plus que les Québécois, qui mangent 24 kg de porc par an.

Cher porc

Prix pour 1 kg de porc haché au supermarché danois IRMA: 86,25 DKK (15,46$CAN) Prix pour 1 kg de porc haché au supermarché IGA: 5,70$CAN Note: en date du 11 mars 2013