Vendre avec le sourire ses légumes au marché Jean-Talon, c'est ce que fait Jacques Rémillard, agriculteur de Saint-Michel-de-Napierville, depuis 1976. Mais cet été est difficile: la grêle a détruit une partie de ses cultures le 4 juillet. Puis, ce sont des amendes qui lui sont tombées dessus: depuis le 28 juillet, la Corporation de gestion des marchés publics de Montréal exige qu'il paie 200$ par jour.

La faute du maraîcher? Son camion excède la longueur de son étal d'une soixantaine de centimètres. C'est comme ça depuis... 36 ans. «Mon camion a toujours eu la même longueur, sans déranger, fait valoir M. Rémillard. Je viens au marché du jeudi au dimanche, j'arrive à 5h. Je vends mes légumes toute la journée, en déchargeant mon camion à mesure. Le soir, je m'en retourne. C'est impossible que je décharge tout sur place au soleil, surtout avec la chaleur qu'il fait cet été.»

Les malheurs de l'agriculteur heurtent ses fidèles clients, qui ne jurent que par ses betteraves multicolores et ses tomates goûteuses. «Jacques est victime de la dérive des marchés publics, estime Gaétane Desharnais, cliente depuis 25 ans. C'est pourtant un vrai! La mission du marché devrait être prioritairement de protéger les producteurs, pas de les décourager.»

Un règlement plus strict

La Corporation fait valoir qu'il s'agit «d'une question de régie interne». «Ce que je peux vous dire, c'est que M. Rémillard a mis un avocat là-dessus, et nous avons aussi un avocat, indique Jean Gagnon Doré, directeur des communications par intérim de la Corporation. C'est en médiation, en discussion, présentement.»

Pourquoi sévir soudainement? «Depuis quelques années, on applique les règlements de façon plus stricte, parce que le marché Jean-Talon évolue, répond M. Gagnon Doré. Le marché est piétonnier, maintenant; on ne peut plus circuler comme on le faisait avant. C'est l'avenir qui nous dicte ça.»

M. Rémillard a demandé qu'on tolère son vieux camion bleu et blanc jusqu'à ce qu'il doive le changer, et il s'est engagé à choisir le prochain plus court. Offre rejetée. Jeudi dernier, son avocate a proposé que l'actuel camion soit toléré jusqu'à la fin de cette année seulement. Nouveau refus.

«La Corporation ne veut pas empêcher Jacques de continuer à fonctionner avec son camion, assure M. Gagnon Doré. Il y a des solutions, mais Jacques ne veut pas les considérer.»

Vendredi, l'avocat de la Corporation a donné à M. Rémillard jusqu'à 16h aujourd'hui pour s'engager par écrit à respecter le règlement dès jeudi. «Un camion, ça coûte de 50 000$ à 60 000$, il faudrait qu'ils me donnent un an ou deux», observe M. Rémillard.

«Notre offre était raisonnable, souligne Me Colette Deschênes, avocate de l'agriculteur. Il faudrait régler le problème. M. Rémillard travaille de 16 à 18 heures par jour en ce moment, il n'a pas le temps d'aller magasiner un camion.»

Ce conflit désole Stéphan Boucher, styliste culinaire (À la di Stasio, Taillefer et fille, etc.). «Jacques, c'est notre préféré au marché, dit-il. Il ne faut pas qu'il parte.»

«Personne ne veut que Jacques quitte le marché Jean-Talon, c'est clair, assure M. Gagnon Doré. C'est un vieux de la vieille, un excellent producteur. La question n'est pas là.»