Cette année, la récolte de cajou, premier produit d'exportation de Guinée-Bissau, promettait d'être excellente. Mais depuis le coup d'État du 12 avril, le cours du cajou a été divisé par deux, l'argent ne circule plus, et l'inquiétude grandit dans les zones de production.

En plus des craintes pour la campagne de commercialisation quasi paralysée, l'arrivée de nombreux déplacés, qui ont fui la capitale de peur de violences, complique encore la situation des familles.

José Magalhaes est responsable d'association à Farim, chef-lieu de la région de Oio, à 110 km au nord de Bissau. Selon lui, plus d'un millier de personnes venant de Bissau ont été accueillies par des proches dans cette grosse bourgade, située au coeur d'une région d'anacardiers. «Certaines familles d'une dizaine de membres comptent maintenant 40 personnes et n'ont pas assez pour se nourrir, dit-il.

Technicien agricole depuis vingt ans à Farim, Mamadi Camara vit essentiellement des revenus de sa plantation d'anacardiers.

Père de douze enfants, il avoue que son salaire lui suffit à peine pour vivre une semaine. «Heureusement que j'ai ma plantation de cajou qui me permet de joindre les deux bouts. Surtout si les récoltes sont bonnes !», dit-il avec amertume en montrant sa famille affairée.

Malgré un soleil de plomb, toute la famille Camara est mobilisée pour la récolte. Les enfants, seaux à la main, ramassent les pommes de cajou que le vent fait tomber. Les femmes séparent la noix de la pomme qui est ensuite pressée pour en faire du jus.

Ici le travail se fait à la chaîne comme dans une usine.

«La récolte sera excellente», dit M. Camara. Mais encore faut-il qu'il puisse la vendre. Avec le coup d'État, toutes les banques ont fermé, de même que les services de transfert de fonds, et le carburant commence à manquer.

Les acheteurs sont rares, et l'argent ne circule plus, surtout en milieu rural, hypothéquant la campagne de commercialisation de la précieuse noix.

«L'argent a peur du bruit des armes»

A Kapa 3, un village à trois kilomètres de Farim, un groupe de commerçants mauritaniens discutent autour d'un verre de thé, en écoutant de la musique saturée sur un vieux poste branché sur une radio de Nouakchott.

«Nous sommes ici depuis bientôt un mois. Regarde notre stock! Même pas trois tonnes. Alors que d'habitude, après un mois d'activité, je dépasse les 50 tonnes», se désole Mohamed Assane.

Plus de banque, plus d'argent, plus de cajou. «Nous ne voulons pas garder d'argent sur nous, car le pays n'est pas sûr, explique le commerçant. Il y a un coup d'État et l'argent a peur du bruit des armes...»

«Nous achetons les petites quantités jusqu'à 10 kg en argent. Quand c'est un quintal ou plus, nous préférons le troc. Du riz ou du zinc ou tout autre produit contre la noix», dit-il.

Début avril, l'État avait fixé le prix référentiel au producteur à 250 FCFA (38 centimes d'euro) le kilo de noix. Dix jours après le coup d'État, ce cours n'est plus respecté, le kilo se négociant entre 100 et 150 FCFA.

Le troc a subi une même variation. Alors que cajou et riz s'échangeaient à parité avant le putsch, il faut maintenant deux kilos de noix pour obtenir un kilo de riz.

«Nous n'avons pas le choix. J'ai de la famille, il faut qu'ils mangent», se lamente un paysan qui vient proposer 50 kg de noix à Mohamed Assane.

Selon des chiffres officiels, la production de noix de cajou fait vivre plus de 250.000 familles en Guinée-Bissau, qui en exporte chaque année plus de 100.000 tonnes. 2011 fut une année exceptionnelle avec 170.000 tonnes exportées vers l'Inde, principal client, rapportant à l'État plus de 100 millions de dollars.