(Montréal) Malgré l’inflation, le coût d’un abonnement à un panier de légumes biologiques préparé par un fermier de famille ne devrait pas trop augmenter.

« L’augmentation du prix est modérée, selon ce qu’on constate. C’est même inférieur à l’augmentation du coût de la vie. Ce que nos membres veulent, c’est de la stabilité et de la prévisibilité, soutient Léon Bibeau-Mercier, président de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique et propriétaire de la ferme Bibeau. Alors plus les gens s’abonnent tôt, mieux c’est pour planifier la saison. »

Annuellement, quelque 150 producteurs maraîchers confectionnent plus d’un demi-million de paniers de légumes biologiques destinés à 30 000 familles du Québec et du Nouveau-Brunswick.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Les producteurs agricoles, et surtout ceux qui œuvrent sur de plus petites terres, ne sont pas à l’abri de l’inflation, reconnaît M. Bibeau-Mercier, mais leur résilience est renforcée par le soutien de la communauté qu’ils desservent. « C’est ce qui permet à l’agriculture d’être plus résiliente face aux coûts parce qu’elle devient moins dépendante du prix de certains intrants », explique le producteur sherbrookois.

« Pour les prix, on n’a pas le choix de s’adapter au marché et à la réalité qu’on rencontre, dont l’inflation », explique Florient Rossignol, membre fondateur de la Coop Au bout du rang, de Saint-Félix-de-Valois dans Lanaudière.

C’est toujours un peu délicat de déterminer jusqu’à quel point on peut augmenter nos prix, parce qu’on veut évidemment faire payer nos clients le moins cher possible, mais il faut quand même être en mesure de se payer avec ce qu’on fait.

Florient Rossignol, membre fondateur de la Coop Au bout du rang

En moyenne, l’équivalent de quelque 250 paniers sont offerts par la jeune entreprise chaque semaine.

Partenaires en affaires comme à la terre

L’augmentation continue du nombre d’abonnés aux paniers de légumes permet également de répartir les coûts de production sur un plus grand nombre de clients, qui sont considérés comme des partenaires. Cette relation d’affaires, qui s’appelle l’agriculture soutenue par la communauté, permet donc aux producteurs de partager les risques sans refiler la totalité des hausses de coûts à leurs clients.

C’est une pratique mise en place aux Jardins de la Terre, à Saint-Paul-d’Abbotsford, en Montérégie, qui vend environ 200 paniers de légumes chaque semaine dans le cadre de son programme d’insertion socioprofessionnelle.

« C’est une question de partage de responsabilités, affirme la directrice générale, Marie-Salima El Kasmi. L’inflation, c’est un élément de risque, alors on en partage les impacts avec la clientèle, mais sans nécessairement suivre les mouvements du marché. »

On indexe nos coûts de panier, et on va aussi assumer une partie du fait que les coûts de production sont plus élevés.

Marie-Salima El Kasmi, DG des Jardins de la Terre

Ce faisant, l’organisme à but non lucratif se contente d’augmenter le prix de ses paniers une seule fois par année, et ce, avant que sa clientèle ne s’abonne au service pour l’été à venir. « C’est un engagement pour toute la saison ; le prix du panier ne changera pas, alors qu’à l’épicerie, on peut voir le prix des produits augmenter plusieurs fois durant la même année. »

Au-delà de se procurer des produits maraîchers frais et locaux, une grande partie des abonnés aux services d’un fermier de famille le font pour encourager l’économie de proximité. « En fait, les gens achètent les paniers pour ce qu’ils contiennent, mais aussi pour soutenir la production des légumes, c’est un service qu’on a tendance à oublier. C’est un produit de commodité, mais qui comporte son lot de défis, quand on le compare avec ce qu’on importe ou ce qui est produit en masse et qui se vend à un prix plus compétitif », indique M. Bibeau-Mercier.

Peu de stratégies sont utilisées par les producteurs pour contrer les effets de l’inflation. La réduction du panier de légumes ou de la variété de produits qu’il contient est d’ailleurs hors de question.

« L’objectif des fermiers de famille, c’est de nourrir un ménage de la façon la plus complète possible avec des légumes de saison. Réduire la quantité ou la diversité de légumes ne fait pas de sens dans cette optique-là », rappelle M. Bibeau-Mercier.

Vers de nouveaux modes de propriété

Malgré tout, rentabiliser une petite production agricole demeure difficile. Plusieurs au fil des années ont baissé les bras en raison de la faible marge qui se dégage d’innombrables heures d’efforts.

D’autres producteurs ont revu la structure de leur entreprise. « À très court terme, on a vu des fermiers se tourner vers une coopérative de solidarité ou créer des fiducies d’utilité sociale agroécologique de façon à répartir autrement la charge de travail, le risque, et pour intégrer un plus grand nombre de personnes dans les activités de l’entreprise », dit M. Bibeau-Mercier.

C’est d’ailleurs ce qui a mené à la fondation de la Coop au Bout du rang, alors que la propriétaire de la ferme et ses trois employés sont devenus membres d’une coopérative responsables de la gestion de la production. « En coop, on a la base en ressources humaines qui est constituée des membres, indique M. Rossignol. Si j’étais tout seul, je devrais aller chercher des employés pour faire ce que les autres membres font. »

Et dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, où d’autres employeurs dans d’autres secteurs sont en mesure d’offrir des salaires plus attrayants, recruter des travailleurs agricoles n’est pas une mince affaire. « C’est là qu’on se rend compte que c’est difficile, car nos salaires sont peu compétitifs, et peu de monde est prêt à se casser le dos pour si peu », ajoute le coopérant.

M. Bibeau-Mercier parle d’un « triple effort à faire », soit d’une part, une réorganisation du travail par les producteurs agricoles, d’autre part, un soutien solide et croissant de la part de la communauté, et enfin, un ajustement des fonds gouvernementaux dédiés à soutenir l’agriculture de proximité.

« Pour nous, être fermier et fermière, c’est plus que simplement cultiver des légumes. Au centre de nos ambitions, il y a un objectif plus grand qui nous anime ; celui de contribuer à notre communauté et à un projet de société au service de l’intérêt collectif », explique-t-il.

Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.