Reconnaissant implicitement que ses récentes décisions ont mené à une réduction de la concurrence entre fournisseurs internet, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) fait une première fleur aux fournisseurs indépendants : une réduction « immédiate de 10 % sur certains tarifs de gros ».

Plus précisément, cette baisse de 10 % s’appliquera à la portion « transport » du prix de gros, celle qui reflète la consommation de données du client, indique-t-on au CRTC. Les tarifs de gros, ceux que paient les fournisseurs indépendants pour accéder aux réseaux des plus grandes entreprises comme Bell, Vidéotron, Rogers et Telus, seront réévalués « de manière plus générale » au cours d’un examen à venir. Ces tarifs de gros comportent en outre un prix d’accès par abonné ainsi qu’une facturation en fonction de la capacité internet par tranches de 100 Mb/s.

« On reconnaît que nos politiques n’ont pas produit une plus grande concurrence sur le marché des services internet, affirme en entrevue la nouvelle présidente du CRTC, Vicky Eatrides. La promotion de la concurrence est vraiment au cœur du mandat du CRTC : ça permet un plus grand choix, des prix plus bas. »

S’attend-elle à ce que les consommateurs constatent rapidement une baisse des prix ? « La concurrence est bonne pour les Canadiens, et cette décision est bonne pour la concurrence », répond Mme Eatrides. Difficile de calculer combien cette baisse de 10 % représente par abonné, les contrats entre petits et grands fournisseurs variant énormément.

Accès à la fibre

Cette décision va de pair avec une consultation sur cette industrie « afin d’accroître la concurrence, de créer plus de choix et de réduire les prix ».

Le CRTC s’intéressera à un autre sujet de préoccupation souvent soulevé par les fournisseurs indépendants, l’accès aux réseaux de fibre optique jusqu’au domicile. Celui-ci demeure à la discrétion des grands fournisseurs.

« Cela va prendre du temps : on doit vraiment entendre tout le monde », prévient Mme Eatrides.

Du côté des fournisseurs indépendants, on se réjouit de cette décision. « Nous sommes très heureux que le CRTC prenne des mesures rapides pour remédier au paysage concurrentiel brisé, a déclaré à La Presse Geoff White, directeur général et directeur des affaires juridiques des Opérateurs des réseaux concurrentiels canadiens (ORCC). Il s’agit d’une année décisive pour la concurrence dans l’internet résidentiel, et nous sommes heureux que le CRTC et sa nouvelle présidente réalisent l’importance de cette question. »

Son organisme regroupe aujourd’hui 21 petits fournisseurs de télécommunications. Il en comptait 33 il y a deux ans à peine. « Les faits parlent d’eux-mêmes, résume M. White. Le marché évolue rapidement, et ça se reflète sur le nombre de membres que nous avons […] Les petits acteurs souffrent, on le dit depuis des années. Il est peut-être trop tard, dans la mesure où cette industrie prend des années à se construire. »

Du côté de l’un des derniers grands fournisseurs internet indépendants, TekSavvy, on se réjouit que le CRTC se consacre d’urgence à ce dossier. « Le CRTC semble comprendre que les décisions antérieures ont décimé le marché concurrentiel des services internet et entraîné une hausse des prix pour les consommateurs, a déclaré par communiqué Andy Kaplan-Myrth, vice-président. Bien que des réductions tarifaires provisoires supplémentaires soient nécessaires pour avoir un impact significatif, nous sommes heureux de voir des efforts appropriés et une voie rapide vers plus de concurrence et de meilleurs prix. »

La présidente du CRTC se défend d’en faire trop peu et d’agir trop tard. « J’occupe ce poste depuis deux mois. Au cours des trois dernières semaines, nous avons fait trois annonces, nous en ferons bientôt une autre. Et nous avons réduit immédiatement certains tarifs de gros. »

Prix trop élevés

L’industrie du service internet connaît des remous depuis une décision controversée du CRTC en mai 2021, qui avait annulé une importante baisse de tarifs de gros précédemment décrétée en 2019. Au moins six fournisseurs indépendants importants, notamment EBOX, Distributel, VMedia et Oxio, ont été rachetés depuis par de plus grosses entreprises.

En mai 2022, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, avait annoncé un premier changement de ton avec des instructions au CRTC afin de « mettre en place de nouvelles règles pour favoriser la concurrence et améliorer les services aux consommateurs ».

En entrevue avec La Presse en janvier dernier, la présidente du CRTC avait déjà reconnu que les prix payés par les Canadiens pour leur service internet étaient trop élevés. « C’est clair que notre politique n’a pas l’effet qu’on cherchait sur les prix. »

« Groupé » ou « dégroupé » ?

Le communiqué publié mercredi par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) constitue par ailleurs un tournant important sur un aspect très technique et peu connu. Depuis 2015, le CRTC espère éliminer ce qu’on appelle le « service groupé », où le fournisseur indépendant obtient l’accès à une installation principale de la grande entreprise, mais sans se rendre avec la fibre jusqu’au domicile de l’abonné.

En 2019, le président du CRTC de l’époque, Ian Scott, vantait plutôt les mérites du « service dégroupé », qui oblige les fournisseurs indépendants à se connecter à un plus grand nombre de points de réseaux des grandes entreprises, donc à investir davantage dans des infrastructures. En échange, ce « service dégroupé » leur assure l’accès à la fibre optique jusqu’au domicile. Très peu de fournisseurs indépendants ont cependant choisi ce modèle.

Or, mercredi, le CRTC a laissé entendre dans son communiqué que ce modèle « dégroupé » promu depuis huit ans n’avait plus la cote. « Le CRTC ne poursuivra pas une mise en œuvre plus large du modèle dégroupé pour l’accès de gros aux réseaux des grandes entreprises, peut-on lire. Ce modèle demeurera toutefois en vigueur là où il a déjà été approuvé. »

« [Le service dégroupé], ça ne marche pas, a tranché en entrevue la nouvelle présidente du CRTC, Vicky Eatrides. On n’a pas les résultats qu’on souhaitait avec cette approche. »

En savoir plus
  • 12,38 millions
    Nombre d’abonnements internet haute vitesse au Canada au 3trimestre de 2022
    Source : Rapports sur le marché des communications (CRTC)
    70,31 $
    Revenu moyen par utilisateur par mois pour le service internet au Canada au 3trimestre de 2022. Il était de 55,44 $ en 2016.
    Source : Rapports sur le marché des communications (CRTC)