De nombreuses voix s’élèvent pour convaincre Québec de ne pas aller de l’avant avec son projet de réduire les impôts

Le budget du Québec qui sera déposé le 21 mars devrait contenir les baisses d’impôt promises par le gouvernement Legault en campagne électorale. Dans les consultations qu’il mène chaque année avant de préparer son budget, le ministre des Finances du Québec a entendu un nombre étonnant de voix qui réclament de ne pas réduire les impôts des Québécois cette année.

Même le Conseil du patronat du Québec (CPQ) ne parle pas de réduction du fardeau fiscal des Québécois cette année dans son mémoire au ministre des Finances. Il trouve même que ce n’est pas une bonne idée.

« C’est vrai que c’est étonnant », convient en riant Norma Kozhaya, vice-présidente à la recherche et économiste en chef de l’organisation patronale.

Le CPQ n’est pas contre les baisses d’impôt, on s’en doute. « C’est tout le contexte qui fait que ce n’est pas la meilleure idée actuellement », dit l’économiste.

« Si on était à l’équilibre budgétaire et si on avait des surplus, on pourrait penser à les allouer à des baisses d’impôt, mais ce n’est pas le cas. »

Le gouvernement a prévu de financer ses baisses d’impôt à venir dont le coût est estimé à environ 2 milliards par année en puisant dans le Fonds des générations.

Le CPQ est d’avis que financer des baisses d’impôt à même un fonds mis sur pied pour assurer l’équité générationnelle n’est pas non plus une bonne idée, une opinion maintes fois exprimée dans les consultations prébudgétaires.

L’Institut du Québec est un autre organisme qui émet des réserves sur l’intention du gouvernement de se servir du Fonds des générations pour financer des baisses d’impôt. En plus d’augmenter l’hypothèque des prochaines générations, elle compromet l’objectif de ramener la dette du Québec à un niveau comparable à celui des autres provinces canadiennes, fait valoir l’équipe de l’Institut du Québec sous la direction de Luc Belzile.

Mais l’inflation ?

Une réduction du fardeau fiscal des Québécois, le plus lourd au Canada, pourrait être justifiée par l’inflation et la hausse du coût de la vie qui coupe les ailes des contribuables. Or, le gouvernement québécois a déjà fait beaucoup pour réduire l’impact de l’inflation sur les familles québécoises. En 2022, de nombreuses mesures de soutien ont été ajoutées au filet social québécois, dont deux versements en argent comptant, l’un de 500 $ et l’autre variant entre 400 $ et 600 $. Au total, cette aide destinée à aider les Québécois à faire face à l’inflation a coûté 7,5 milliards et elle est la plus généreuse de toutes les provinces canadiennes, selon la Chaire en fiscalité de l’Université de Sherbrooke.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre des Finances Eric Girard

De l’huile sur le feu

L’économie ralentit et les risques de récession augmentent, mais la situation financière des Québécois reste enviable, même le ministre des Finances le reconnaît. Le taux d’épargne est plus élevé au Québec qu’ailleurs au Canada, ce qui place les Québécois en meilleure position pour traverser le ralentissement économique, soulignait le ministre Eric Girard dans sa mise à jour économique de décembre.

Pour l’Association des économistes du Québec, réduire les impôts revient à mettre de l’huile sur le feu.

L’économie est en surchauffe, le taux de chômage est à un niveau historiquement bas et le nombre de postes vacants n’a jamais été aussi élevé. Et on ajouterait encore plus d’argent ?

Louis Lévesque, président du Comité des politiques publiques de l’Association des économistes du Québec

Comme le Conseil du patronat, les économistes québécois sont d’avis que baisser les impôts des Québécois est souhaitable, mais pas maintenant. Ce n’est pas le bon temps pour stimuler la demande, selon Louis Lévesque.

« Le plus gros problème de l’économie québécoise, ce n’est pas la demande, c’est la pénurie de main-d’œuvre. Si on veut baisser les impôts, il faudrait cibler ce problème avec des mesures qui ont un impact sur les revenus de travail, comme une augmentation des déductions pour les travailleurs », dit-il.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Les dépenses en santé, qui représentent actuellement 50 % de toutes les dépenses de l’État, devraient être augmentées d’un milliard supplémentaire pour faire de la prévention, selon l’Association pour la santé publique du Québec.

Des besoins plus criants

Plutôt que de réduire les impôts, le gouvernement serait mieux avisé de consacrer cet argent à la santé et aux hôpitaux, dont les besoins sont criants, aux écoles en ruine ou aux routes défoncées. C’est ce que réclament bon nombre de groupes qui constatent la détérioration généralisée des services publics.

L’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, qui regroupe 65 000 employés du réseau de la santé, veut que le gouvernement cesse complètement ses versements au Fonds des générations et redirige cet argent dans le réseau de la santé et des services sociaux.

Les dépenses en santé, qui représentent actuellement 50 % de toutes les dépenses de l’État, devraient être augmentées d’un milliard supplémentaire pour faire de la prévention, selon l’Association pour la santé publique du Québec, un regroupement autonome de citoyens et d’organisations préoccupés par le retard du Québec en matière de prévention des maladies.

Ne pas réduire les impôts pour pouvoir dépenser plus est une fausse bonne idée, selon l’économiste Louis Lévesque.

D’abord, explique-t-il, que l’argent vienne des poches des consommateurs ou du Trésor public, les dépenses supplémentaires contribuent à alimenter l’inflation.

Ensuite, les dépenses publiques ont augmenté énormément au cours des dernières années et on se retrouve à payer plus cher pour avoir moins de services. « On dépense plus et les résultats ne sont pas à la hauteur. Il y a des enjeux d’organisation et de productivité à régler », constate-t-il.

Selon lui, l’élimination du déficit devrait être la priorité pour un gouvernement qui vient d’être réélu pour un nouveau mandat, dont la situation financière est confortable et alors que l’économie surchauffe. « C’est l’occasion de se tourner vers l’avenir. C’est le bon timing. »

Un but atteint ?

Même si elle ne fait pas l’unanimité, la perspective d’une réduction des impôts a de quoi en réjouir plusieurs, dont la Fédération canadienne des contribuables qui espère que son discours soit enfin entendu dans le prochain budget.

Des baisses d’impôt sont nécessaires pour donner une marge de manœuvre aux contribuables face au ralentissement de l’économie, plaide le regroupement dans son mémoire au ministre des Finances.

En réduisant le fardeau fiscal des particuliers et des entreprises, le gouvernement du Québec peut accomplir ses deux objectifs : protéger le pouvoir d’achat des Québécois et soutenir la croissance de l’économie québécoise.

La Fédération canadienne des contribuables

Une pétition a été mise en ligne sur le site de l’organisation afin de presser le gouvernement Legault de respecter ses engagements électoraux et de baisser les impôts.

« Notre pétition a pour le moment reçu l’appui de 9000 signataires et nous comptons mener une campagne jusqu’à la veille du budget pour que tous les Québécois en faveur d’une baisse d’impôt soient entendus », a fait savoir Nicolas Gagnon, directeur Québec de la Fédération canadienne des contribuables.