(Calgary) Chat échaudé craint l’eau froide.

Ce proverbe reflète bien l’état d’esprit de certains Albertains devant l’essor des énergies renouvelables dans leur province.

Comme Jason Schneider, le préfet élu du comté de Vulcan.

À l’instar de plusieurs dirigeants en zone rurale, M. Schneider se souvient que les municipalités avaient grandement souffert de la dégringolade des prix pétroliers il y a une décennie. De nombreuses entreprises en faillite avaient laissé des milliards de dollars en factures impayées.

À Vulcan, des centaines de puits sans propriétaires s’étendaient à perte de vue. Tous avaient besoin d’être nettoyés. Le montant des taxes municipales dues dépassait les 9 millions.

Aujourd’hui, M. Schneider ne saute pas de joie lorsqu’il regarde les parcs éoliens ou les panneaux solaires qui se multiplient. Il craint une future crise énergétique et se demande qui paiera pour les pots cassés la prochaine fois.

« Ce sont d’importants développements industriels, constate-t-il. Les coûts de remise en étant seront substantiels. On voit déjà les signes avant-coureurs, mais nous sommes ignorés. »

Dans toute l’Alberta rurale, les conséquences à long terme de l’essor des énergies renouvelables dans la province soulèvent les inquiétudes.

La vitesse de ce développement et son rythme sont absolument phénoménaux.

L’Alberta a longtemps dépendu presque uniquement du charbon pour produire son électricité. Aujourd’hui, les installations éoliennes et solaires ont une capacité de 3800 mégawatts (MH), dont 1350 ont été mis en service au cours des 12 derniers mois. Des installations pouvant produire jusqu’à 1800 MH sont en construction, de sorte que la province pourrait dépasser la cible, établie en 2016, de produire 30 % de son électricité par des sources renouvelables d’ici 2030.

Par exemple, dans le comté de Vulcan, où sont situés le plus grand parc solaire du pays et l’un des plus grands parcs éoliens de l’ouest du Canada, les producteurs d’énergie renouvelable comptent pour plus de 40 % de l’assiette fiscale locale, délogeant les entreprises pétrolières et gazières comme principale source de revenus du gouvernement municipal.

Si d’une part, nombreux sont ceux qui accueillent chaudement ces nouveaux revenus, d’autres lancent déjà un signal d’alarme.

Par exemple, l’association des municipalités rurales de l’Alberta a récemment adopté une résolution demandant au gouvernement provincial de protéger les contribuables contre les coûts associés au démantèlement des infrastructures d’énergie renouvelable.

Plus précisément, elle souhaite que le gouvernement demande aux promoteurs de payer d’avance pour la future remise en état d’une propriété. De cette façon, les municipalités n’auront pas à payer la facture si une entreprise devient insolvable et ferme ses portes.

« Nous avons bien appris et tous les Albertains ont bien appris que la façon la moins coûteuse de ne pas payer pour une réhabilitation d’un terrain, c’est de faire faillite », dit Paul McLauchlin, le président de Rural Municipalities of Alberta.

Certaines de ces installations solaires sont construites par une entreprise, vendues à une autre entreprise. J’ai parlé à un gars qui travaille pour un cinquième propriétaire dans un parc solaire qui existe depuis deux ans. Il y a plusieurs petites entreprises. On se demande bien si elles ont les moyens de payer pour la réhabilitation d’une propriété.

Paul McLauchlin, président de Rural Municipalities of Alberta

En Alberta, il existe une association financée par l’industrie pétrolière qui paie pour démanteler les infrastructures pétrolières et gazières et réhabiliter un terrain.

Toutefois, il n’existe pas d’équivalent pour le secteur des énergies renouvelables. Les entreprises doivent par contre présenter un aperçu sur la manière avec laquelle il compte remettre en état une propriété avant d’obtenir le feu vert pour leur projet.

Autre différence : un propriétaire peut donner un bail à un exploitant sur une base volontaire. Pour l’exploitation des carburants fossiles, un propriétaire n’a pas le droit de refuser aux producteurs d’exploiter un puits sur son terrain.

Evan Wilson, directeur principal, Affaires politiques et gouvernementales, de l’Association canadienne de l’énergie renouvelable, explique que la responsabilité d’inclure des clauses réglant le partage des coûts liés à la réhabilitation revient au propriétaire du terrain.

« Les propriétaires de terrain peuvent refuser la construction d’une installation chez eux, souligne-t-il. Alors, cela met beaucoup de pression sur nos membres pour s’assurer que ces propriétaires se sentent bien à l’aise avec les clauses d’un loyer. »

Sara Hastings-Simon, une experte de l’Université de Calgary, dit comprendre les inquiétudes des municipalités.

Toutefois, elle juge bizarre que l’on souhaite une nouvelle réglementation pour le secteur des énergies renouvelables alors que le problème des puits abandonnés démontre que le système régissant l’énergie pétrolière et gazière a besoin d’une bonne révision.

Selon l’Alberta Energy Regulator, on recense plus de 83 000 puits inactifs dans la province et près de 90 000 autres qui ont été mis hors d’état de service sans être totalement réhabilités.

Le directeur parlementaire du budget estimait en janvier 2022 que les coûts de nettoyage des puits orphelins atteindront 1,1 milliard d’ici 2025

« Il faut s’assurer que toute notre industrie se développe de façon à ce que les coûts ne soient pas reportés au public, avance Mme Hastings-Simon. Il sera plus raisonnable que la province examine le secteur des énergies de façon plus globale plutôt que de choisir celle qui connaît la plus forte croissance. »