Les ménages qui ont acheté une propriété au cours de la dernière année sont ceux qui souffriront le plus de la hausse des taux d’intérêt et d’une correction des prix sur le marché immobilier, estime la Banque du Canada.

L’endettement des ménages est la principale vulnérabilité de l’économie canadienne, souligne la banque centrale dans son Revue du système financier (RSF) publié jeudi. « Dans presque tous les RSF, nous sonnons l’alarme sur les hauts niveaux d’endettement de nombreux ménages canadiens et les prix élevés des logements, a expliqué le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, en conférence de presse à Ottawa. Ces vulnérabilités ne sont pas nouvelles, mais elles ont subi les effets de la pandémie. »

Les Canadiens qui viennent d’accéder à la propriété sont encore plus à risque, si l’économie ralentit et que le chômage augmente. Ils ont payé en moyenne 50 % de plus pour leur propriété qu’avant la pandémie et contracté des prêts importants, le plus souvent à taux variable et sur une période d’amortissement plus longue.

« Bon nombre ont contracté de plus gros prêts hypothécaires par rapport à leur revenu, dans un contexte de cherté du logement », souligne la banque centrale. Même si le recours à d’autres formes de crédit que le crédit hypothécaire est en baisse, « globalement, les ménages ont alourdi leur passif, l’accroissement de la dette hypothécaire faisant plus que compenser la diminution de la dette à la consommation ».

En fait, la proportion de ménages lourdement endettés est actuellement plus grande qu’avant la pandémie, selon la Banque du Canada, et atteint un niveau record. Ces ménages ont contracté des prêts équivalents à 450 % de leurs revenus.

Alors que les taux d’intérêt ont entrepris une remontée, les ménages les plus endettés devront réduire leurs dépenses pour honorer leur dette hypothécaire et sont particulièrement à risque en cas de perte de revenus, « surtout si elle s’ajoute à une baisse du prix du logement », souligne le rapport.

Le marché de la revente de propriétés a commencé à ralentir et beaucoup d’économistes prévoient une baisse de valeur des actifs immobiliers. La Banque du Canada estime de son côté qu’il est trop tôt pour savoir si cela est dû au fait que des acheteurs ont avancé leurs achats, en anticipation des récentes hausses des taux hypothécaires, ou si cela signale le début de la fin de la recrudescence de l’activité immobilière imputable à la pandémie.

Risque de récession

Le système financier canadien a bien traversé la pandémie, estime la Banque du Canada. « Nous émergeons à peine d’un grand choc qui, je l’espère, sera le seul de cette envergure dans notre vie », a souligné le gouverneur.

D’autres défis se présentent maintenant, avec l’inflation élevée, la hausse des taux d’intérêt et l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

L’édition 2022 du Rapport sur le système financier recense d’autres vulnérabilités de l’économie canadienne qui font augmenter les risques de récession. « La probabilité de croissance négative au premier trimestre de 2024 est pratiquement deux fois plus importante étant donné le contexte actuel de vulnérabilités », estime la banque centrale.

Les risques de cyberattaque, qui figurent parmi les autres vulnérabilités de l’économie canadienne, ont augmenté avec l’invasion de l’Ukraine, selon la banque. « La fréquence et la sophistication accrues des cyberattaques commanditées par des États augmentent le risque qu’une attaque réussie contre le Canada perturbe substantiellement le système financier du pays. »

Le risque climatique fait partie des vulnérabilités citées par la Banque du Canada, notamment parce que les actifs liés aux hydrocarbures pourraient perdre de la valeur. Les cryptomonnaies représentent aussi un risque accru pour le système financier, du fait de leur popularité. Les cryptoactifs « sont de plus en plus intégrés dans le système financier traditionnel, ce qui fait augmenter le risque que des chocs sur les marchés de ces produits se répercutent dans l’ensemble du système », estiment les autorités monétaires.

« On est surpris et on s’ajuste »

Après la publication de sa Revue du système financier jeudi, le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a répondu à nos questions sur la politique, l’inflation et l’efficacité de la hausse des taux d’intérêt

Photo BLAIR GABLE, archives REUTERS

Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada

La Banque du Canada et vous-même avez fait une entrée remarquée dans le débat politique avec la campagne à la direction du Parti conservateur du candidat Pierre Poilievre. Est-ce que ça complique votre travail ?

Je vais laisser la politique aux politiciens. Nous avons un mandat très clair, c’est la stabilité des prix, et notre priorité est de réduire l’inflation à notre cible [de 2 % ].

Bien sûr, quand l’inflation est trop élevée, les Canadiens ont des questions et nous sommes toujours ouverts aux divers points de vue, aux analyses et aux critiques de nos décisions.

En gros, je pense que nous avons réagi de manière appropriée à cette récession très sévère. Mais c’est clair que nous ne sommes pas encore revenus à la normale. Nous avons encore du travail à faire.

Nous utilisons nos outils, nous avons déjà augmenté nos taux d’intérêt trois fois et nous avons indiqué qu’il fallait anticiper d’autres hausses. J’ai bon espoir que nous allons réussir.

Que répondez-vous à ceux qui disent que la Banque du Canada a réagi trop tard à la hausse des prix et qu’elle doit donc maintenant augmenter ses taux d’intérêt plus vite et plus fortement, ce qui causera du tort à l’économie ?

C’était une récession très sévère et avec la reprise, nous avons réduit nos achats d’obligations du gouvernement du Canada. Nous avons mis fin à l’assouplissement quantitatif en octobre dernier. Nous avons laissé nos taux à zéro jusqu’en janvier parce que l’automne dernier, il y avait encore une marge considérable d’offre excédentaire dans l’économie.

En janvier, nous avons dit aux Canadiens qu’ils pouvaient anticiper une hausse de taux et depuis, nous les avons haussés trois fois.

Je ne veux pas dire que nous avons tout anticipé. Nous avons été surpris de la sévérité et de la persistance des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement. Au début, nous pensions que ces perturbations visaient quelques biens seulement, comme les semiconducteurs, mais elles ont affecté beaucoup plus de biens et sont plus persistantes. Avec les fermetures en Chine et la guerre en Ukraine, ces perturbations continuent. Nous n’avons pas anticipé l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Ces deux éléments poussent l’inflation à la hausse.

Maintenant, nous réagissons, et nous avons exprimé clairement que si cela s’avérait nécessaire, nous étions prêts à utiliser plus de force.

Avec les informations que nous avions, nous avons pris des décisions raisonnables. Ça ne veut pas dire qu’on n’a pas été surpris par quelques évènements. On est surpris et on s’ajuste.

Est-ce qu’on peut savoir quelle part de l’inflation actuelle de 6,8 % s’explique par des facteurs géopolitiques sur lesquels la politique monétaire n’a aucun effet ?

La plus grande part de l’inflation actuelle est due à la hausse des prix de l’énergie et des aliments à cause de la guerre et des perturbations de la chaîne d’approvisionnement.

Oui, l’économie au Canada commence à surchauffer, c’est pourquoi on a besoin de hausser les taux d’intérêt. C’est important d’agir pour empêcher que les attentes d’inflation s’ancrent et que l’inflation reste élevée.

À un certain point, le prix du pétrole va arrêter d’augmenter, le prix du blé va arrêter d’augmenter et les pressions internationales vont baisser. Si on peut maintenir les anticipations d’inflation ancrées à notre cible, on évite un recul plus sévère de l’économie.

Plus le taux d’inflation reste élevé longtemps, plus grand est le risque que les attentes d’inflation s’installent. C’est la raison pour laquelle nous sommes en train de hausser les taux de manière assez rapide.

Combien de temps faudra-t-il avant de réduire l’inflation jusqu’à la cible de 2 % ?

Ça va prendre du temps. À peu près deux ans. On ne peut pas contrôler les prix internationaux. Nous sommes un petit pays, nous n’avons pas d’influence sur ces prix. Mais ces prix ne vont pas continuer d’augmenter d’une année à l’autre. Quand ils vont se stabiliser, les forces inflationnistes internationales vont baisser au Canada et si les anticipations sont contenues, l’inflation va baisser.

Est-ce que ça va marcher ? Oui, mais ça va prendre du temps. Ça prend d’un an et demi à deux ans avant que nos outils aient leur plein effet sur l’économie. Je pense quand même que nous verrons un ralentissement de l’inflation avant.

C’est difficile pour les Canadiens. Les prix sont élevés. Je veux leur assurer que ça ne va pas durer, mais en même temps je veux qu’ils puissent comprendre que l’inflation ne disparaîtra pas en quelques trimestres.

Le prix du baril de pétrole WTI est à 121 $ US et continue d’augmenter. Ça va exercer de la pression à la hausse à court terme et l’inflation va encore augmenter avant de commencer à baisser.

Je pense que les Canadiens peuvent être confiants. Nous avons le mandat, nous avons les outils et nous sommes motivés à réduire l’inflation jusqu’à notre cible.

La Banque du Canada estime que les cryptomonnaies représentent une vulnérabilité du système financier, mais que ce risque est tout de même limité. Pourquoi ?

On voit une croissance assez rapide des cryptomonnaies depuis deux ans, mais au total, ce n’est pas tellement élevé. On sait qu’un plus grand nombre de Canadiens ont investi dans les cryptomonnaies. Le risque augmente. Ce n’est pas encore systémique parce que ce n’est pas très gros et que les liens avec le système financier ne sont pas encore importants. Mais ça augmente.

Le problème, c’est que les cryptomonnaies n’ont pas le même degré de réglementation que les autres actifs financiers, et ce sera important d’avoir une réglementation appropriée. Le principe est que les mêmes activités qui ont les mêmes fonctions doivent avoir le même type de réglementation.