Une pandémie, une guerre, une inflation qui s’emballe et des hausses de taux d’intérêt. Tous les ingrédients qui causent les récessions sont actuellement réunis. Le Canada, malgré une économie qui tourne à plein régime, n’est pas immunisé contre un ralentissement brutal de sa croissance.

Les risques de récession sont à la hausse, conviennent la plupart des économistes. Depuis que la Banque du Canada a annoncé clairement son intention d’augmenter les taux rapidement afin de calmer l’inflation, les probabilités d’une récession augmentent, constate Steve Ambler, professeur associé à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal et titulaire de la Chaire David Dodge en politique monétaire.

« Les taux d’intérêt actuels, qui sont toujours très bas après deux hausses cette année, devront augmenter encore beaucoup pour combattre l’inflation qui dépasse la cible de la Banque du Canada de 4,6 % », dit-il.

Jusqu’où les taux peuvent-ils augmenter avant que l’économie ne commence à chanceler ? La Banque du Canada a en tête ce qu’elle appelle un taux neutre, qui permet à l’économie de croître sans engendrer d’inflation. Ce taux idéal (et théorique) se situe autour de 2,5 %, selon les autorités monétaires.

Or, étant donné que l’inflation dépasse actuellement 6 %, il est pratiquement certain que les taux d’intérêt devront être maintenus au-dessus de ce taux neutre pendant un certain temps, croit Steve Ambler.

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Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada

L’économie commence à souffrir quand les taux d’intérêt dépassent ce taux considéré comme idéal. Le gouverneur de la Banque du Canada estime que l’économie canadienne est capable de supporter des taux d’intérêt plus élevés. La banque centrale prévoit une croissance économique de 4,2 % cette année et de 3,2 % en 2023. Même si ces prévisions s’avèrent trop optimistes, il y a tout de même une marge avant d’entrer en territoire négatif, a encore plaidé Tiff Macklem devant les élus fédéraux la semaine dernière.

Une récession, si nécessaire

La récession, s’il y en a une, n’est pas pour cette année, croient plusieurs économistes, dont Jean-François Perreault, économiste en chef de la Banque Scotia. La Banque du Canada a levé le pied de l’accélérateur, mais n’a pas encore le pied sur le frein, estime-t-il. Les hausses de taux ralentiront la machine, mais elle a encore assez de carburant pour avancer encore pendant plusieurs mois, selon lui.

La situation est différente en Europe, où la guerre en Ukraine et la hausse des prix de l’énergie ont provoqué un choc économique.

L’inquiétude actuelle sur la probabilité d’une récession vient en bonne partie de ce qui se passe en Ukraine. Il est probable qu’en Europe, plusieurs pays se retrouvent en récession.

Jean-François Perreault, économiste en chef de la Banque Scotia

Si cela arrive, le Canada n’en souffrira pas trop parce qu’il est un producteur de matières premières qui trouveront preneur ailleurs, si l’économie européenne se fige. Si l’économie américaine souffre, par contre, le voisin du Nord n’y échappera pas.

De ce côté-ci de l’Atlantique, le risque principal est l’inflation, dit Jean-François Perreault, et la façon dont les banques centrales s’y prendront pour la combattre.

Augmenter les taux d’intérêt ne fera pas baisser les prix du pétrole et des autres matières premières, mais cela aura pour effet de calmer la consommation et la frénésie immobilière. L’économiste de la Scotia souligne que la Banque du Canada répète qu’elle est résolue à ramener l’inflation à sa cible de 2 %, ce qui laisse entendre qu’elle veut y arriver coûte que coûte, même au prix d’une récession.

Des taux d’intérêt trop élevés pendant trop longtemps finissent inévitablement par provoquer une récession. C’est du moins ce que l’histoire récente nous enseigne.

« C’est un scénario évitable, croit toutefois Jimmy Jean, économiste en chef chez Desjardins, mais il faut que plusieurs choses se passent bien. »

Il faut d’abord que, tant au Canada qu’aux États-Unis, les banques centrales relèvent leurs taux avec plus de vigueur pour cesser de stimuler l’économie. « Plus on attend, plus on se met à risque de devoir augmenter les taux davantage, et pour plus longtemps. » Les hausses de taux peuvent prendre de 18 à 24 mois avant d’avoir un impact dans l’économie réelle, rappelle-t-il.

Si l’inflation donne des signes de ralentissement ou plafonne, les probabilités d’un atterrissage en douceur vont augmenter, estime Jimmy Jean.

Il faut enfin qu’il n’y ait pas d’autres chocs qui frappent les économies mondiales.

Les scénarios

La combinaison actuelle pandémie, guerre et inflation mènera-t-elle tout droit à une récession ? Tout dépend des résultats qu’obtiendront la Banque du Canada et la Réserve fédérale des États-Unis dans la lutte qui vient de s’amorcer contre l’inflation.

Trois scénarios sont possibles, résume Miville Tremblay, fellow de l’Institut CD Howe et du CIRANO, qui est aussi un ancien de la Banque du Canada.

« L’idéal est celui d’un atterrissage en douceur, où la demande se calme quelque peu et où l’inflation se rapproche des 2 % dans un an ou deux, dit-il. Le deuxième est celui d’une stagflation, où la croissance faiblit beaucoup, mais où l’inflation perdure en raison des pénuries et des chocs du côté de l’offre. Le troisième est celui d’une récession où la hausse des taux casse les reins de la croissance. »

Il est très difficile, selon lui, d’accoler des probabilités à ces scénarios, en raison de la combinaison inhabituelle des facteurs qui affectent actuellement l’économie mondiale. « Il faut se souhaiter bonne chance ! », conclut-il.

L’a b c de la récession

Une récession est un recul de l’activité économique, mesurée par le produit intérieur brut (PIB), pendant au moins deux trimestres consécutifs. Elle se caractérise par une augmentation importante du taux de chômage et une baisse marquée de la consommation et des investissements qui peut durer quelques mois ou plusieurs années.

L’incidence

Les dommages causés par une récession se mesurent en perte de production, mais aussi en drames humains générés par les pertes d’emplois, les faillites et la baisse du niveau de vie.

Les causes

Un recul de l’économie est rarement causé par un seul facteur ou un seul évènement. Il est généralement le résultat de plusieurs causes comme l’endettement excessif, des bulles spéculatives ou un choc provoqué par une pandémie, et qui finissent par alimenter l’inflation.

Les dernières récessions au Canada

La pandémie a provoqué une récession soudaine et de courte durée, très différente des autres épisodes de recul de l’économie canadienne. Avant le grand plongeon de 2020, la dernière récession « normale » remonte à 2008.

1980-1982

La faiblesse du dollar canadien et la montée de l’inflation poussent la Banque du Canada à augmenter les taux d’intérêt et à les maintenir à un niveau élevé, provoquant la plus longue récession au Canada depuis celle des années 1930.

Durée : 6 trimestres

Taux directeur : 21 %

Taux de chômage : 12,8 %

Baisse du PIB : 4,9 %

1990-1992

C’est encore la lutte contre l’inflation à coups de hausses de taux d’intérêt qui mène le Canada à une récession en 1990. Contrairement aux autres, cette récession n’a pas été provoquée par un ralentissement de l’économie américaine et elle a été considérée comme la première récession made in Canada.

Durée : 5 trimestres

Taux directeur : 14,5 %

Taux de chômage : 12 %

Baisse du PIB : 3,4 %

2008-2009

La crise financière aux États-Unis et l’effondrement du secteur immobilier américain ont ébranlé le système financier international et précipité l’économie canadienne dans une récession.

Durée : 3 trimestres

Taux directeur : 4,5 %

Taux de chômage : 9 %

Baisse du PIB : 3,6 %