(Paris) Au-delà de la flambée prévisible des prix à la pompe, l’envol du baril de pétrole au-dessus des 100 dollars présente des risques pour une économie mondiale encore ultra-dépendante de l’or noir et tout juste convalescente de la COVID-19.

Les consommateurs et les entreprises, premières victimes ?

Au Royaume-Uni, en France, en Allemagne… Faire son plein d’essence n’a jamais coûté aussi cher dans un nombre croissant de pays.  

La hausse continue du pétrole, qui a pris plus de 30 % depuis le 1er janvier, devrait logiquement continuer d’affoler les compteurs.

Côté entreprises, le secteur du transport, à commencer par l’aérien, et l’industrie sont en première ligne, et répercutent l’augmentation de leurs coûts de production et d’exploitation sur les prix.  

Le baril à 100 dollars va ainsi se retrouver « dans le prix de nombreux autres produits, car le pétrole est partout, dans chaque objet qu’on utilise ou qu’on consomme », souligne auprès de l’AFP Thomas Pellerin-Carlin, directeur du centre pour l’énergie à l’institut européen Jacques Delors.

Fruits et légumes, biens manufacturés… D’innombrables produits sont transportés du producteur au consommateur par camion, cargo ou avion sur les routes du commerce mondial, très gourmandes en carburant.

Et il se pourrait que la fièvre ne soit pas près de retomber : la société d’analyse Capital Economics voit même le baril monter jusqu’à 140 dollars si la situation en Ukraine continue de s’aggraver.

L’économie mondiale est-elle menacée ?

La flambée des prix du brut est « un choc » pour l’économie, même s’il est moins grave que la COVID-19, reconnait Vincent Juvyns, en charge de la stratégie au sein de la société d’investissement JP Morgan AM, interrogé par l’AFP. « Ce choc vient pérenniser l’inflation », déjà surveillée fébrilement par des ménages et des dirigeants impuissants.  

Dans ses dernières prévisions en janvier, le Fonds monétaire international tablait déjà sur 3,9 % d’inflation cette année dans les économies avancées et 5,9 % dans les économies émergentes et en développement.  

La crainte est particulièrement forte au sein des pays émergents, selon une récente note de Goldman Sachs, reflétant une part plus importante du budget des ménages consacrée à l’énergie et une plus forte dépendance aux énergies fossiles.

Cette hausse met les banquiers centraux face à un choix difficile : ne pas relever les taux directeurs au risque de laisser prospérer l’inflation, ou les augmenter au risque de casser la croissance.

Qui profite de la situation ?

D’abord les géants pétroliers qui sabrent le champagne : la hausse du pétrole de 50 % déjà enregistrée en 2021 avait permis 23 milliards de dollars de bénéfice annuel pour l’américain ExxonMobil, près de 20 milliards pour le brésilien Petrobras, et 16 milliards pour le français TotalEnergies.

L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) y trouve aussi une belle occasion de renflouer des caisses vidées par la crise de la COVID-19 et l’effondrement des cours du brut en 2020.

Assis sur une confortable rente, ces pays rechignent à augmenter leur production, s’est plainte début février l’Agence internationale de l’énergie, au moment où la demande mondiale augmente avec la baisse des restrictions liées à la COVID-19.

Gros producteur de pétrole et de gaz, la Russie, en pleine opération militaire, est assise sur des réserves de change de près de 640 milliards de dollars et un fonds souverain de 183 milliards de dollars.

Quels effets sur le climat ?

Un pétrole plus cher c’est davantage d’incitations à aller le chercher plus profond ou, qu’il s’agisse des gisements dans le schiste des États-Unis, devenus avant la pandémie les premiers producteurs au monde de pétrole grâce à la fracturation hydraulique, ou des sables bitumineux canadiens.

Avec le risque d’amenuiser les efforts de réduction des énergies fossiles à travers la planète, déjà considérés comme largement insuffisants par les défenseurs de l’environnement.

À l’inverse, l’envolée des cours et la forte dépendance aux énergies fossiles peut encourager l’engagement plus résolu vers la transition énergétique.

« Le choc pétrolier de 1973 a fait l’objet d’une vraie réaction politique, par la baisse de la consommation énergétique, par le développement de l’efficacité énergétique des bâtiments et par le nucléaire », rappelle ainsi Thomas Pellerin-Carlin.

« S’il fallait un argument massue pour accélérer la transition énergétique, le voilà tout trouvé », abonde Vincent Juvyns.