À la Bourse du carbone Québec-Californie, le prix des crédits d’émissions de gaz à effet de serre a atteint un niveau record l’an dernier, ce qui commence à attirer l’attention des investisseurs à la recherche de nouvelles sources de rendement. Les droits de polluer sont-ils devenus un investissement intéressant ?

Ça peut le devenir, mais ça ne l’est pas encore, selon Vital Proulx, ancien dirigeant d’Hexavest maintenant à la tête de Priori-T Capital, une nouvelle firme qui investit dans des projets de lutte contre les changements climatiques financés par le marché du carbone.

Priori-T Capital n’investit pas directement dans les crédits de carbone, qui ne sont pas encore très développés en Amérique du Nord, mais la firme s’en sert comme outil. Et elle y croit beaucoup.

L’investissement direct dans les crédits de carbone est encore peu répandu. « C’est un marché encore nouveau ici, mais ça existe depuis longtemps en Europe, explique Vital Proulx. Et c’est un marché qui devrait grossir. »

Le marché du carbone qui lie le Québec et la Californie existe depuis 2014. Il oblige les émetteurs de gaz à effet de serre à acheter des crédits pour compenser chaque tonne d’émissions qui dépasse un seuil préétabli. Ces crédits sont mis aux enchères quatre fois par année.

En 2021, le prix d’un crédit d’émission d’une tonne de carbone a augmenté de 67 % pour atteindre 35,47 $. C’est un record depuis le début des enchères.

Une des raisons de cette hausse est la présence d’investisseurs, qui se sont joints aux émetteurs de gaz à effet de serre qui ont l’obligation d’y participer et d’acheter des crédits pour couvrir leurs émissions. Les alumineries, les cimenteries, les raffineries et les distributeurs de pétrole et de gaz sont les émetteurs qui ont l’obligation de compenser leurs émissions.

En principe, les crédits de carbone sont un bon investissement parce que leur prix est appelé à augmenter, explique Vital Proulx. Le système prévoit en effet que le nombre de crédits disponibles sur le marché diminuera avec le temps, ce qui en fera augmenter le prix.

Pas à la portée de tous

Les spéculateurs qui misent sur l’augmentation du prix du carbone ont la capacité de faire augmenter le coût de la pollution et de favoriser ainsi l’atteinte des objectifs de réduction des émissions.

Investir dans les crédits de carbone afin de diversifier ses placements et d’obtenir un rendement intéressant est donc possible, mais ce n’est pas à la portée de tous.

Le marché du carbone Québec-Californie n’est pas un marché organisé comme les Bourses traditionnelles, où il est possible de vendre et d’acheter des titres facilement. Il existe un marché secondaire pour les crédits de carbone, mais il n’est pas liquide comme celui des actions ou des obligations. Actuellement, le détenteur d’un crédit de carbone qui veut le vendre doit trouver un acheteur et s’entendre avec lui, ce qui n’est pas très pratique.

Le marché du carbone est appelé à se développer et pourrait se doter d’une chambre de compensation pour faciliter les transactions. En attendant, il est possible d’investir dans le marché du carbone sur des marchés de produits dérivés comme ICE.

Des investisseurs institutionnels commencent à s’y intéresser, mais pas la Caisse de dépôt, qui n’achète pas de crédits de carbone comme investissement, indique sa porte-parole, Kate Monfette. « Non, en tant qu’investisseur, notre stratégie est d’encourager nos entreprises en portefeuille à réduire leurs émissions à la source et nous utilisons des budgets carbone pour suivre les émissions de nos portefeuilles », a-t-elle fait savoir.

La patience est de mise

Selon Vital Proulx, il ne fait aucun doute que le marché du carbone, sous plusieurs formes, est appelé à se développer et à générer des rendements intéressants pour les investisseurs, tout en ayant un impact positif sur l’environnement. « Il suffit d’être patient », estime-t-il.

La patience est en effet de mise, selon Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et spécialiste en énergie. Et elle pourrait ne pas suffire à rendre le marché du carbone plus efficace, selon lui.

Les premières enchères du marché Québec-Californie pour l’année 2022 auront lieu ce mercredi et les résultats seront connus le 24 février. Même si le prix actuel fixé à la dernière enchère de 2021 a atteint un record, il reste encore très bas et ne devrait pas augmenter beaucoup dans les années à venir, selon Pierre-Olivier Pineau.

« Les gouvernements ont été trop généreux et ont accordé des droits de polluer en grande quantité, explique-t-il. Les entreprises n’en manquent pas, ce qui contribuera à garder les prix des crédits bas. »

En Europe, le crédit d’émission d’une tonne de carbone est d’environ 140 $. Au Canada, dans les provinces qui n’ont pas de marché du carbone, le gouvernement fédéral a fixé un prix qui augmente avec le temps et qui atteindra 110 $ en 2026.

Qui paie ?

Les entreprises qui émettent des gaz à effet de serre doivent acheter des crédits pour compenser leurs émissions. Ce coût supplémentaire est transmis à leurs clients qui, ultimement, paient pour la pollution.

Ce coût supplémentaire n’est pas toujours évident pour les consommateurs. Les clients d’Énergir, par exemple, reçoivent des factures où apparaît clairement le coût des crédits qui compensent les émissions du distributeur de gaz naturel.

Par contre, les automobilistes ne voient pas ce coût supplémentaire qui s’ajoute au prix de l’essence à la pompe. Le prix actuel d’un crédit de carbone, soit 35,47 $, augmente de 7 cents le prix du litre.

L’argent généré par la vente de crédits d’émission va dans le Fonds d’électrification et de changements climatiques, qui s’appelait auparavant le Fonds vert. Depuis 2013, les enchères ont rapporté 5,6 milliards au gouvernement québécois.