(New York) Après deux ans de conditions financières très favorables, entreprises, marchés et particuliers vont voir le coût de l’argent remonter avec la hausse programmée des taux d’intérêt de la Réserve fédérale américaine (Fed), un virage qui a déjà commencé.

Mercredi, le président de la Fed, Jerome Powell, a évoqué un premier relèvement des taux de l’institution dès mars, et les analystes tablent sur plus de trois hausses cette année.

Et avant même le début de ce nouveau cycle, les effets se font déjà sentir dans l’économie américaine.

Les taux des crédits immobiliers à 30 ans sont passés, depuis mi-août, de 2,77 % à 3,56 % en moyenne, selon le géant américain du refinancement immobilier Freddie Mac.

« Les emprunteurs sentent la différence, et ne se préoccupent pas du fait que 3,5 %, c’était un record de taux bas avant la pandémie », explique Greg McBride, analyste en chef du site Bankrate.

Lors de la présentation de ses résultats, la banque JPMorgan Chase a indiqué s’attendre à un millésime « inférieur » à 2021 sur le plan des emprunts immobiliers.

À Wall Street, « il y a un recalibrage » à l’œuvre « sur les segments les plus spéculatifs du marché », explique Zachary Hill, responsable de la stratégie macro chez Horizon Investments.

Changement de climat

Depuis mars 2020, épargnants et investisseurs institutionnels n’avaient ainsi pas hésité à acheter des actifs risqués pour profiter de cette ère de l’argent facile, rendue possible par la Fed.

Mais la Banque centrale s’apprête à tirer le frein à main, en arrêtant d’acheter des titres sur le marché, en plus d’augmenter ses taux.

Les actions souffrent depuis plusieurs semaines de ce changement de climat, en particulier les titres devenus des symboles de la pandémie, de la plateforme boursière Robinhood (-85 % depuis début août) ou du spécialiste des vélos d’appartement haut de gamme Peloton (-84 % en un an).

Les héros du mouvement dit des « meme stocks », ces actions mises en orbite par des petits porteurs enthousiastes via les réseaux sociaux, de GameStop (-59 % en deux mois) à AMC (-78 % depuis son plus haut de juin), souffrent aussi de gueule de bois.

Autre victime, le secteur des cryptomonnaies, soumis à une sévère correction depuis plusieurs semaines. Le bitcoin a chuté de près de 30 % en un mois et l’Ethereum, l’autre devise virtuelle de référence, a perdu plus de 40 %.

« Les cryptomonnaies sont très sensibles à la performance des marchés actions et ont été propulsées durant cette ère de l’argent ultra bon marché », a dit, dans une note, Susannah Streeter, analyste de Hargeaves Lansdown. « Il n’est donc pas surprenant qu’elles fassent les frais de la frousse » qui a saisi les investisseurs à l’approche d’un durcissement monétaire.

« Accrocs »

Avant même le relèvement de la Fed, les taux ont déjà sensiblement augmenté depuis septembre, sur le marché obligataire, mais aussi au-delà.

Pour les entreprises également, le paysage change. Les taux des obligations de sociétés sont en nette hausse depuis septembre et, pour elles, aussi, le coût du crédit se renchérit déjà.

« Les marchés sont assez accros au taux d’intérêt à zéro et aux coûts d’emprunt également nuls, donc ça va être un changement, mais je pense que la demande d’obligations d’entreprises bien notées va limiter la hausse des taux » pour les sociétés, prévoit Kim Rupert, responsable du marché obligataire pour le cabinet Action Economics.

La marche devrait être plus haute, en revanche, pour les groupes aux finances moins solides.

Les obligations dites « junk », soit les moins bien notées, « sont les pires actifs en ce moment » sur le marché obligataire, selon Kim Rupert, car les investisseurs s’attendent à voir leurs conditions de financement se durcir.

L’analyste fait également valoir que du fait de l’accélération du dollar, aussi due à l’inflexion de la Fed, « acheter des actifs un peu plus risqués va devenir plus cher » pour les investisseurs.

Les introductions en Bourse et les fusions ou acquisitions devraient aussi ralentir, dit-elle, au moins jusqu’à la fin du deuxième trimestre, le temps que le marché ait « une idée claire » de la trajectoire de la Fed.

Même si les conditions générales de crédit et de financement resteront favorables en les comparant aux moyennes de long terme, le risque, pour les économistes, est qu’un durcissement trop marqué ne ralentisse franchement l’économie américaine.

« Donc je pense que le modus operandi de la Fed sera d’être le plus flexible possible », annonce Bob Schwartz, d’Oxford Economics.