Évaluation des risques climatiques d’une entreprise, mesure des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et calcul des émissions carbone d’une entreprise : ces thèmes s’incrustent de plus en plus dans les écoles de gestion au moment où la finance durable s’impose. Le virage est toutefois loin d’être chose faite.

La place grandissante accordée à ces notions se décline de plusieurs façons : elle s’intègre dans le tronc commun des programmes de formation, et elle passe aussi par la mise en place de cours pour s’y pencher de manière plus approfondie.

« Les facteurs de risque liés au climat, il y a cinq ans, nous n’en parlions pas tellement, explique Sébastien Betermier, professeur de finances à la faculté de gestion Desautels à l’Université McGill. Aujourd’hui, ils occupent une place importante. »

Celui-ci affirme qu’un cours en finance durable est offert depuis l’automne. La demande est stimulée à la fois par les étudiants, pour qui ces concepts ont de l’importance, et des employeurs (voir autre texte).

La tendance est de plus en plus populaire. Selon le cabinet international McKinsey, l’investissement durable a franchi la barre des 30 000 milliards US en 2018, ce qui constitue une hausse d’environ 70 % par rapport à 2014.

D’ici 2025, la valeur des actifs ESG devrait être supérieure à 53 000 milliards US, estime McKinsey.

S’il y a des pressions pour accélérer le virage dans les établissements d’enseignement, celui-ci ne doit pas se faire au détriment des connaissances « de base » que les étudiants doivent assimiler, souligne M. Betermier. Autre défi : il faut aussi trouver des enseignants spécialisés dans ces notions.

Le rapport de développement 2019-2020 de HEC Montréal souligne que 94 cours sur les 744 cours magistraux offerts portaient sur des thèmes liés au développement durable. Au baccalauréat en administration des affaires, trois cours sur cette question sont obligatoires depuis 2020.

Depuis cette année, un cours spécialisé en finance durable est aussi offert au MBA.

Il y a une conscience que certaines méthodes ne prennent pas nécessairement en compte les coûts environnementaux et sociaux de l’activité économique. Je suis là depuis 12 ans. À l’époque, certains de ces sujets étaient nichés. Ce n’est plus le cas.

Amine Ouazad, du département d’économie appliquée à HEC Montréal

Lorsque vient le temps d’aborder certaines problématiques, la solution n’est « pas nécessairement claire », souligne Dominique Toupin, professeur de finances à l’École de gestion Williams de l’Université Bishop’s.

D’un côté, on peut aborder l’approche consistant à se retirer d’entreprises – comme dans le secteur des énergies fossiles – dont les activités ne cadrent pas avec la finance durable. Celles-ci peuvent être punies s’il y a un effet boule de neige et que des investisseurs emboîtent le pas. En revanche, il est aussi possible d’y investir pour avoir une « influence directe » dans le but d’instaurer des changements.

« On veut présenter des problèmes qui ne sont pas faciles et pas uniques », explique M. Toupin.

Regarder en avant

Doyen de l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’UQAM, Komlan Sedzro estime que la faculté était déjà à « l’avant-garde » depuis quelques années, puisque plusieurs professeurs se penchaient déjà sur ces questions.

Cela n’a pas empêché l’université d’offrir, au deuxième cycle, un programme qui se penche sur l’évaluation des investissements – risques éthiques, environnementaux et sociaux. Selon le doyen de l’ESG, une dizaine d’étudiants sont inscrits. D’autres groupes pourront être créés au besoin.

Pour conserver une longueur d’avance, l’ESG s’affaire aussi à intégrer d’autres notions aux formations offertes, souligne M. Sedzro.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB UQAM

Komlan Sedzro, doyen de l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’UQAM

Ce sont les risques et enjeux liés à la cybersécurité et à l’intelligence artificielle, par exemple. Cela fait beaucoup d’éléments, mais ils peuvent également présenter des problèmes éthiques ou sociaux. Il faut y penser.

Komlan Sedzro, doyen de l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’UQAM

Tous les intervenants sont du même avis : ce virage vers les concepts de finance durable n’est pas terminé et ne peut pas s’effectuer au détriment des notions de base.

« Il ne faut pas que l’on oppose la profitabilité à l’environnement, affirme M. Betermier. C’est de trouver comment on intègre ces concepts d’une façon logique dans la gestion d’une firme ou d’un fonds. »

De plus, le parcours universitaire ne fournira pas toutes les réponses aux étudiants. L’objectif, selon les professeurs interrogés, est d’être en mesure de réfléchir aux répercussions de leurs décisions d’investissement une fois sur le marché du travail.

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En mai 2022, un deuxième sommet sur la finance durable doit se tenir à Montréal. Plus de 60 conférenciers doivent y participer.

Source : Finance Montréal

Des profils de plus en plus convoités

Des firmes et gestionnaires de régimes de retraite qui veulent réduire l’empreinte carbone de leurs portefeuilles aux organisations désireuses de repenser leur évaluation des risques : les étudiants qui s’intéressent à la finance durable sont recherchés, mais ils ne courent pas les rues.

Au sein des facultés de gestion, on constate une augmentation de l’intérêt des employeurs pour ce profil.

« Prenons par exemple les fondations, illustre le doyen de l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’UQAM, Komlan Sedzro. Certaines tentent de se départir de leurs investissements qu’elles jugent non éthiques ou qui ne respectent pas l’environnement. »

Le phénomène s’observe également un peu partout dans le monde.

En juin dernier, la firme comptable PwC a annoncé son intention de créer 100 000 postes de par le monde au cours des cinq prochaines années afin de mettre l’accent sur des notions comme la finance durable.

De plus en plus, nous recevons des questions d’entreprises qui demandent des étudiants bien formés dans ce domaine [finance durable et critères ESG].

Sébastien Betermier, professeur de finances à la faculté de gestion Desautels à l’Université McGill

Amine Ouazad, du département d’économie appliquée à HEC Montréal, donne un exemple qui illustre combien la tendance touche les organisations : la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).

Depuis quelques années, M. Ouazad collabore avec l’agence nationale du logement, qui est à la recherche d’étudiants capables d’analyser le risque climatique pour son portefeuille d’actifs.

« La SCHL cherche des étudiants qui sont à l’aise en économie, mais qui savent aussi évaluer l’impact du risque climatique sur le marché de l’assurance et du crédit immobilier », raconte M. Ouazad.

Mais les candidats sont rares, souligne Geneviève Bouthiller, vice-présidente, moyennes entreprises privées et investissement durable à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ).

La demande a été très forte au cours des dernières années puisque plusieurs investisseurs institutionnels ont accéléré la construction des équipes, explique-t-elle.

« Je pense que nous sommes dans un déséquilibre parce qu’il y a eu une demande très forte, dit-elle, en entrevue.

Parallèlement aux efforts pour recruter de nouveaux candidats, la CDPQ déploie beaucoup de « temps et de ressources importantes » en formation à l’interne, affirme Mme Bouthiller.