Les investisseurs institutionnels se l’arrachent, une trentaine de produits financiers y sont liés à la Bourse de Toronto, il est apparu à New York et son cours a fracassé des records. L’année 2021 a sans contredit été une année marquante pour le bitcoin et, dans son sillage, pour les quelque 8000 cryptomonnaies apparues dans la dernière décennie. La bulle va-t-elle exploser ou transformer le système financier international ? Des experts se prononcent.

1263 milliards US

Valeur totale des 18,7 millions de bitcoins en circulation quand la monnaie a atteint son sommet de 67 553 $ US le 8 novembre dernier. On estime à 1800 milliards US la valeur de l’ensemble des cryptomonnaies. À titre d’exemple, le produit intérieur brut du Canada a été de 1643 milliards US en 2020.

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Nombre de produits disponibles à la Bourse de Toronto liés aux cryptomonnaies, essentiellement aux deux les plus populaires, le bitcoin et l’ethereum. On y trouve notamment les premiers fonds négociés en Bourse au monde, des fonds à capital fixe et des fonds activement gérés.

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Aux États-Unis, un premier fonds d’investissement négocié en Bourse (FNB) est apparu à la Bourse de New York en octobre dernier, ProShares Bitcoin Strategy. Il ne calque pas intégralement la valeur de la cryptomonnaie, mais est plutôt lié à des contrats à terme.

Stabilité mathématique

3iQ, une firme établie à Toronto fondée par les Montréalais Jean-Luc Landry et Fred Pye, a été la première au monde à lancer un fonds à capital fixe basé sur le bitcoin en avril 2020. Elle propose deux FNB basés sur le bitcoin et l’ethereum depuis le printemps dernier. « Ç’a été une année charnière », résume François Dionne St-Arneault, directeur des produits et des ventes pour le Canada d’3iQ.

« Au point où en est rendue la valeur totale de la cryptomonnaie, tu ne peux plus l’ignorer. »

Il estime qu’avec les politiques monétaires inconstantes des banques centrales liées à la pandémie, le bitcoin, avec sa mécanique mathématique immuable, a paradoxalement montré sa pertinence. « Il y a beaucoup de volatilité, de vecteurs de marché comme un seul tweet d’Elon Musk qui a beaucoup d’influence, mais on réalise que le bitcoin n’est pas influencé par les politiques gouvernementales, lui. »

64 %

Proportion estimée, au premier trimestre 2021, des transactions sur les cryptomonnaies attribuées aux investisseurs institutionnels, selon la plateforme Coinbase. Ceux-ci seraient derrière 215 des 335 milliards US échangés. L’intérêt de ces grands fonds institutionnels pour les cryptomonnaies, notamment la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) qui y a investi 400 millions en octobre dernier, a marqué l’année 2021, estime Martin Lalonde, président et gestionnaire de portefeuille chez Rivemont.

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Martin Lalonde, président et gestionnaire de portefeuille chez Rivemont

« Les grandes institutions suivent l’argent. Leur but est de maximiser le rendement, elles se sont rendu compte que la demande était là, et l’augmentation évidente de la valeur des cryptomonnaies suscite de l’intérêt. »

François Dionne St-Arneault, chez 3iQ, ne compte plus les webinaires qu’il a donnés cette année pour expliquer le bitcoin et ses dérivés à des responsables d’entreprises. « L’année 2021 a vraiment été celle de l’entrée des institutions plus sérieuses dans le monde du bitcoin. Aux États-Unis, il n’y a pas une institution financière qui n’a pas son équipe consacrée à cette classe d’actifs. »

Entreprises

Microsoft, Home Depot, Starbucks, une fintech canadienne comme Ledn qui a annoncé à l’automne des hypothèques garanties par les bitcoins : de nombreuses entreprises acceptent d’être payées en cryptomonnaie. La plus médiatique d’entre elles, Tesla, l’a annoncé début 2021 tout en révélant avoir acquis 1,5 milliard US en bitcoins. Son PDG et fondateur, Elon Musk, a cependant reculé en mai suivant en suspendant la possibilité d’acquérir une voiture Tesla avec cette monnaie virtuelle à cause des émissions de gaz à effet de serre associées à son « minage ».

Troisième vague

Cela dit, l’utilisation des cryptomonnaies demeure l’exception dans l’économie classique. La plupart des études établissent à environ 5 % le pourcentage de Canadiens possédant des cryptomonnaies, le bitcoin dans l’écrasante majorité des cas.

Après les adeptes de la première heure et l’intérêt des grandes institutions, « la troisième vague », celle qui verrait une adoption massive, n’est pas vraiment commencée, estime Voicu Valentir, président du groupe Cavaliro, firme d’investissement de Laval.

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Voicu Valentir, président du groupe Cavaliro, firme d’investissement de Laval

Avec la popularité grandissante de ces monnaies virtuelles décentralisées et qui échappent au fisc tant qu’elles n’entrent pas dans l’économie traditionnelle, il voit poindre une autre tendance : la réglementation. L’administration Biden, aux États-Unis, a multiplié les signaux d’inquiétude au sujet du bitcoin en 2021, y voyant notamment un outil de financement de la criminalité.

« Imaginez que Bombardier décide de payer ses employés en bitcoins, directement sur leur clé privée anonyme, donne en exemple M. Valentir. Le gouvernement va dire : “Hey, je veux les noms, dis-moi qui tu paies.” »

Qu’est-ce que le bitcoin ?

Cette monnaie électronique a été créée artificiellement par un groupe d’informaticiens sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto en 2009. Par convention, le nombre de bitcoins émis est divisé par deux tous les quatre ans ; il est actuellement de 6,25 bitcoins toutes les 10 minutes remis aux « mineurs » dont les ordinateurs gèrent les échanges. Techniquement, tous les bitcoins, soit 21 millions, seront finalement émis en 2140. Le registre, lui, demande de plus en plus de ressources pour être géré. Cette rareté et la puissance informatique toujours plus grande étaient voulues pour calquer le comportement du bitcoin sur celui des matières premières comme l’or. Sa valeur en monnaie traditionnelle, très fluctuante, dépend essentiellement de l’offre et de la demande. Pour un gestionnaire comme Martin Lalonde, la prudence est de mise, même si les rendements sont alléchants. « La plupart de nos clients vont mettre un faible pourcentage de leurs investissements en cryptomonnaie. Assez pour faire bouger l’aiguille quand ça monte, mais pas trop pour ne pas mettre son patrimoine en péril. »