Au Québec, plus de 80 % des propriétaires ne possèdent que quelques logements, selon les données de 2019. Rentabiliser les rénovations et l’entretien de leur immeuble s’avère tout un défi. Rencontre avec des « petits propriétaires ».

Marie Guertin et son conjoint Yvan Leduc, tous deux à leur compte sans caisse de retraite, ont décidé d’acheter un triplex à Lachine il y a 20 ans pour diversifier leurs placements.

« Notre fonds de pension, c’est la Bourse et ça fluctue, explique Marie Guertin. J’aime avoir une partie de nos investissements en immobilier. J’aimerais conserver l’immeuble jusqu’à ce que nous ayons 70 ans, mais mon chum veut vendre. »

Même si, à long terme, le jeu en vaut la chandelle, selon eux, ce placement demande plus d’efforts qu’un placement à la Bourse, ne serait-ce que pour la gestion des conflits entre locataires. Il y a aussi la remise des logements en bon état lors d’un changement de locataire, ce qui exige un important investissement de temps et d’argent.

« C’est beaucoup plus de travail que je pensais quand j’ai acheté. Je viens de refaire la salle de bains d’un des logements et avant que je récupère ça avec les loyers, ça va être très long. C’est affreux », confie la propriétaire.

Le couple vient de louer les deux 5 1/2 à une famille des Philippines et à une autre du Guatemala. Lors de la signature du bail, Marie Guertin les a avertis qu’ils auraient une augmentation chaque année. « Quand je change de locataires, j’augmente le loyer, mais de façon raisonnable. Je n’ai pas le choix, sinon j’aurais fait faillite depuis longtemps. »

Quarante ans de plex

Alain Michaud, pompier de métier, a investi dans ses premiers plex au milieu des années 1980 avec sa femme et d’autres membres de la famille. Aujourd’hui, ils ont deux immeubles de huit et six logements à L’Assomption.

« J’avais 30 ans à l’époque, on a pris un risque, on a vécu dans un quadruplex, et toute la famille a travaillé fort pour les entretenir. Ma plus jeune lavait les halls d’entrée », raconte l’homme aujourd’hui âgé de 69 ans.

Au cours des décennies, Alain Michaud a toujours investi pour rénover ses plex. « J’ai mis récemment 40 000 $ en portes et fenêtres, ça va prendre 40 ans pour récupérer cet investissement, mais je l’ai fait pour ne pas que mon immeuble dépérisse », affirme ce propriétaire qui déplore que la méthode de fixation des prix des loyers n’ait pas changé depuis 40 ans.

Jusqu’en 2000, Alain Michaud ne donnait d’ailleurs jamais d’augmentation de loyer, de peur de se retrouver avec des logements vides. C’était une autre époque. Ces dernières années, il observe que beaucoup de Québécois choisissent d’habiter seuls, faisant ainsi grimper leurs dépenses.

« L’enjeu pour les locataires est réel, précise le propriétaire. Ils consacrent une trop grande partie de leur revenu brut au logement. Ce qui n’est pas une bonne chose pour nous, les propriétaires, parce qu’on sert de marge de crédit pour les locataires quand ils doivent payer des imprévus et n’ont plus d’argent pour le loyer. »

« Il faut absolument aider les gens plus pauvres à se loger avec des subventions de l’État, dit-il. Je serais prêt à payer plus d’impôts pour ça. »

Acheter un plex centenaire en pleine surenchère

Veuve depuis trois ans, Marie* a vendu sa maison en banlieue pour aller vivre à Montréal dans un plex avec sa fille unique à mobilité réduite. Comme elle travaille à l’étranger et que sa fille de 20 ans voulait vivre en appartement proche de l’école et des services de santé, elle a cru que ce serait une bonne idée d’y investir ses économies à l’approche de sa retraite.

En pleine folie de surenchère, elle a fini par acheter en janvier un quadruplex sur le Plateau Mont-Royal à 1 000 050 $. Un prix plus bas que le marché, car les loyers sont plus bas que les comparables du marché et que l’immeuble n’avait pas été rénové depuis sa construction en 1907.

« C’est pire que ce que je pensais, confie-t-elle lors d’un entretien en vidéoconférence. Je dois refaire l’électricité, les fils datent d’une centaine d’années et c’est dangereux. Je dois refaire la plomberie, les tuyaux d’évacuation, et il y a de la moisissure dans les murs. »

Coûts des travaux seulement pour le 5 1/2 au rez-de-chaussée : 200 000 $.

« Ce qui n’aide pas, c’est que les coûts des matériaux de construction ont augmenté et que la Ville de Montréal nous complique la vie pour l’obtention des permis de rénovation avec une attente de deux mois et demi », dénonce-t-elle.

« Or, je veux faire les choses correctement. J’ai engagé un ingénieur et un architecte, je fais tout selon les normes, mais si j’attends le permis de la Ville, je vais perdre l’entrepreneur, les matériaux vont encore augmenter. Il y a une telle pression ! »

Marie prévoit mettre une somme additionnelle de 200 000 $ pour les trois autres logements, des 3 1/2. Lorsque tous les travaux seront réalisés, elle souhaite augmenter les loyers qui sont actuellement à 470 $, 480 $ et 515 $ par mois.

« Même s’ils vaudront presque le double, je ne pourrai pas les augmenter de plus de 2 ou 3 %, soit environ 15 $ par mois. Le rendement va prendre des années. Je réalise que je suis en train de subventionner des locataires, alors que c’est la Ville ou l’État qui doit faire ça, pas des petits propriétaires comme moi », raconte la nouvelle propriétaire qui a fait sa carrière en développement international et humanitaire.

Petit duplex, grosses rénovations

Depuis 2003, Julie* est propriétaire d’un duplex, dans lequel elle habite, situé en plein cœur du Vieux-Longueuil. Au fil des ans, elle a dû faire plusieurs travaux, dont le toit et le sous-sol à cause d’une inondation. À tous les changements de locataires, elle rafraichît les lieux.

« Si la pensée populaire, c’est que des propriétaires d’immeubles comme le mien se la coulent douce, ce n’est pas le cas de tout le monde. Je suis comme n’importe quel autre propriétaire de maison », confie-t-elle au téléphone.

Cette année, elle a dû payer 40 000 $ pour un drain français alors qu’elle venait déjà d’investir 30 000 $ et 20 000 $ depuis deux ans.

« C’est quand même beaucoup d’argent ! s’exclame-t-elle. J’ai quand même un emploi dans la fonction publique bien rémunéré, mais je suis monoparentale et j’assume tous les frais seule.

« En fin de compte, quand tu additionnes tout l’argent que tu mets dans l’immeuble, ce n’est pas rentable. Le loyer aide à payer les taxes et l’hypothèque, mais je ne fais pas d’argent avec mon locataire. J’augmente selon les taux de la Régie et, cette année, l’augmentation est de 7 $, ce qui fait 84 $ pour un an. »

Bien que les logements de ce secteur prisé se louent 1200 $ par mois, elle préfère avoir un bon locataire et lui louer le 5 1/2 à 785 $.

* Par souci de préserver leur anonymat, certains propriétaires nous ont demandé de taire leur nom de famille.