(Washington) La « politique de la corde raide » au Michigan risque de permettre à Enbridge d’abandonner un projet de tunnel de 500 millions qui protégerait une voie navigable écologiquement sensible des Grands Lacs du controversé oléoduc de la canalisation 5, ont averti des chefs d’entreprise mercredi.

Les chambres de commerce du Canada et des États-Unis ont uni leurs forces à celles de leurs homologues de l’Ohio, du Michigan et du Wisconsin en déposant un mémoire conjoint devant les tribunaux pour contester la proposition de la gouverneure Gretchen Whitmer de fermer l’oléoduc transfrontalier.

Mercredi marquait la date limite initiale de Mme Whitmer pour qu’Enbridge ferme la canalisation 5, qui, selon elle, pose un risque environnemental inacceptable, le long du fond du détroit de Mackinac, qui relie le lac Huron au lac Michigan.

« La solution du tunnel élimine essentiellement le risque de déversement d’hydrocarbures dans le détroit de Mackinac », affirment les chambres dans leur mémoire.

L’accord existant avec le Michigan donne à Enbridge le droit d’annuler entièrement le projet de tunnel si l’oléoduc est contraint de cesser ses activités, même temporairement, expliquent-elles.

« En vertu de la clause de résiliation de deux accords […] si les défendeurs se conforment à l’ordonnance de l’État du Michigan et ferment involontairement l’oléoduc, les défendeurs peuvent choisir de mettre fin à leurs obligations de construire un tel tunnel. »

Le mémoire anticipe un scénario dans lequel la société Enbridge est forcée de fermer temporairement la canalisation, annule le projet de tunnel et reçoit plus tard une décision des tribunaux qui lui permet de reprendre ses activités.

« Les chambres exhortent les parties à ne pas créer de crises évitables à court terme ni à mettre en péril la solution à long terme (le tunnel) qui est supérieure au statu quo selon elles. »

Enbridge a déclaré qu’elle devrait réévaluer la situation si la canalisation 5 était fermée.

« Nous croyons au projet de tunnel et pensons qu’il s’agit d’une solution pratique. Si la canalisation 5 était fermée comme le souhaite la gouverneure, comme toute entreprise dont la capacité d’exploitation est interrompue, nous devrions réévaluer la situation », indique un communiqué envoyé par le porte-parole de la société Jesse Semko.

« Cela dit, Enbridge a terminé la phase d’ingénierie et de conception du projet de tunnel en mars et cherche activement à obtenir les permis réglementaires étatiques et fédéraux des agences », poursuit le communiqué.

« Et nous restons déterminés à fournir aux habitants du Michigan et de la région des Grands Lacs une énergie sûre, fiable et abordable. »

Le mémoire de gens d’affaires fait suite à un dépôt similaire mardi par le gouvernement libéral fédéral, une rare incursion internationale dans les procédures judiciaires américaines, qui a exhorté le tribunal à maintenir l’oléoduc en activité et les deux parties à parvenir à un règlement.

La date limite de mercredi devait passer sans incident ; les pourparlers avec un médiateur nommé par le tribunal devraient se poursuivre après le 18 mai et la compagnie Enbridge a déclaré qu’elle ne prévoyait pas accéder à l’ordonnance du Michigan.

Un « spectacle politique »

Cela n’a pas empêché ceux qui s’opposaient aux efforts de Mme Whitmer de s’exprimer.

« Cette stratégie du risque n’est qu’un spectacle politique », a déclaré Christopher Guith, vice-président principal en ce qui a trait aux politiques au Global Energy Institute de la Chambre de commerce des États-Unis.

« Malheureusement, des millions d’Américains et de Canadiens en paieront probablement le prix. »

Richard Studley, le directeur de la Chambre de commerce du Michigan, n’a pas non plus mâché ses mots.

« Tous les gouverneurs du Michigan avec lesquels j’ai travaillé, jusqu’à aujourd’hui, ont traité nos amis et voisins canadiens avec courtoisie et respect », a déclaré M. Studley lors d’une conférence de presse.

Enbridge, a-t-il dit, s’est donné beaucoup de mal pour apaiser les inquiétudes de l’État, y compris avec le tunnel, des promesses de surveillance 24 heures sur 24, un système de bouées d’urgence et le maintien d’équipes d’intervention, « seulement pour être diabolisé à des fins politiques ».

« C’est vraiment très troublant pour l’ensemble de la communauté des affaires de voir un gouverneur et un procureur général abuser de leur pouvoir de la sorte », a ajouté M. Studley. « La question que cela soulève dans la communauté des affaires est : “ Qui est le prochain ? ” »

Dans leur mémoire, les chambres décrivent en détail une cascade de conséquences « graves, nationales et internationales » probables en cas de fermeture de la canalisation. Celles-ci vont de la flambée des prix du carburant et des pénuries d’approvisionnement à une augmentation des décès sur la route et des émissions de gaz à effet de serre à cause d’un plus grand nombre de camions-citernes.

Le pétrole transporté par chemin de fer est près de cinq fois plus susceptible de se déverser que le pétrole transporté par oléoduc, et le risque de déversement impliquant un camion-citerne est dix fois plus élevé, a déclaré Aaron Henry, directeur principal des ressources naturelles et de la croissance durable de la Chambre canadienne.

Il y a aussi un risque d’urgences énergétiques entre les États, soulève le mémoire. Ce phénomène est déjà visible dans plusieurs États de la côte est à la suite de la fermeture temporaire de l’oléoduc Colonial, une artère énergétique clé qui a été ciblée par une cyberattaque étrangère.

« Je pense que la leçon la plus importante à tirer de la fermeture de l’oléoduc Colonial est que les actions ont des conséquences », a déclaré M. Studley.

« Indépendamment des motivations, la fermeture d’un deuxième oléoduc régional, interétatique et international aura pratiquement le même impact économique, qui est négatif : des prix plus élevés, des emplois perdus et une perturbation de la vie quotidienne des individus, des employés et des employeurs. »