(Québec) Pierre Fitzgibbon promet aux vignerons québécois de « limiter le plus possible les effets négatifs » de l’entente survenue entre le Canada et l’Australie dans le conflit commercial qui les opposait sur le vin.

Cette entente dont La Presse a révélé vendredi la teneur prévoit de nouveaux frais sur les bouteilles québécoises vendues dans les épiceries et dépanneurs. Les épiciers craignent l’impact que cette mesure aura sur leurs ventes de vins d’ici.

« C’est une “ mauvaise nouvelle ” […], mais on n’avait pas le choix. Maintenant, c’est à nous de mettre des programmes en place pour limiter le plus possible les effets négatifs », lance en entrevue le ministre de l’Économie et de l’Innovation du Québec, Pierre Fitzgibbon.

L’Australie a déposé une plainte en 2018 à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Elle estimait que le Canada et plusieurs provinces favorisaient indûment les producteurs locaux de vin, contrevenant ainsi aux principes du libre-échange. Plusieurs autres pays producteurs de vin étaient venus appuyer sa plainte.

Tant Ottawa que les autres provinces visées – la Colombie-Britannique, l’Ontario et la Nouvelle-Écosse – s’étaient entendus avec l’Australie. Le Québec était la dernière à le faire. L’entente est survenue l’hiver dernier hiver, mais n’a été dévoilée que cette semaine.

Jusqu’à 6 $ par bouteille

Pourquoi avoir accepté de négocier ?

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie et de l’Innovation du Québec

Le prix aurait pu être plus onéreux si l’OMC avait fait ses recommandations ».

Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie et de l’Innovation du Québec

Le ministre explique que les producteurs québécois, représentés par le Conseil des vins du Québec (CVQ), avaient initialement rejeté une négociation avec l’Australie.

« Le CVQ avait demandé à Québec de ne pas intervenir et de laisser l’OMC trancher […] Mais je pense qu’ils ont réalisé qu’il y avait un risque, explique M. Fitzgibbon. Ils ont changé d’idée au courant de 2020 et ont demandé une entente négociée. Je pense que c’était une bonne décision. »

L’entente prévoit l’instauration de frais pour les vins d’ici vendus dans les épiceries et les dépanneurs, un secteur qui avait connu une forte croissance dans les dernières années. La mesure entrera en vigueur en décembre 2023.

Les vignerons québécois pouvaient depuis 2016 vendre directement leurs bouteilles dans les épiceries et dépanneurs. Pour offrir leurs vins sur ces mêmes rayons, les producteurs étrangers doivent quant à eux absolument passer par l’entremise de la SAQ, qui leur impose une importante « majoration ».

« À moins que le Québec donne des subventions, c’est fini, le vin québécois dans les épiceries », craint Marc André Gagnon, journaliste et chroniqueur sur le site VinQuebec.com.

Cet observateur avisé de la scène viticole note que ces frais atteignent 6 $ par bouteille. Le gouvernement n’a toutefois pas encore précisé à combien se chiffrera la « majoration » pour les vins québécois.

« En vendant en épicerie à l’heure actuelle, le producteur n’a pas à payer la majoration de 6 $ à la SAQ. Il peut s’entendre avec l’épicier, et au lieu de lui vendre 5 $ sa bouteille, comme il le ferait à la SAQ, il la lui vend 8 $, par exemple », illustre M. Gagnon.

Ça fait toute une différence. Là, soudainement, avec la majoration, il va devoir vendre son vin 11 $ à l’épicerie, mais il ne va toucher que 5 $. Ce n’est pas rentable pour lui.

Marc André Gagnon, journaliste et chroniqueur sur le site VinQuebec.com

Marc André Gagnon pense que si rien n’est fait, plusieurs vignerons vont préférer vendre leurs bouteilles au domaine.

Des épiciers déçus

Pierre Fitzgibbon se dit bien conscient de cet enjeu. Le ministre ne veut pas dévoiler son jeu. Il ne veut pas non plus parler de « compensation ». Mais il laisse miroiter une forme d’aide aux vignerons.

« On ne peut pas dire qu’on compense la taxe, parce qu’on viendrait faire indirectement ce qu’on ne peut pas faire directement. Je ne vous dirai pas qu’on va les compenser, ce serait un manque d’éthique de ma part », avance M. Fitzgibbon.

« Mais les programmes qu’on va mettre en place d’ici un an, un an et demi vont au moins atténuer les choses », assure-t-il.

Ce qu’on a dit au CVQ, c’est qu’on va limiter les “dégâts” […]. On va trouver une façon…

Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie et de l’Innovation du Québec

Le budget fédéral présenté cette semaine prévoit d’ailleurs 101 millions sur deux ans pour « aider les établissements vinicoles à s’adapter aux défis actuels et émergents ».

En attendant, les épiciers ont hâte de voir comment évoluera la situation. L’Association des détaillants en alimentation du Québec (ADAQ) avait constaté dernièrement un réel engouement pour le vin québécois.

« On a tout vendu dans la dernière année. On a manqué de produits », note Pierre-Alexandre Blouin, président-directeur général de l’ADAQ.

« On est déçus du résultat. On n’a pas encore tous les détails, mais malheureusement, il n’y aura plus d’avantages à développer des circuits courts entre les détaillants et les producteurs », croit-il. « S’il faut payer la pleine majoration à la SAQ, autant que ces vins soient vendus sur ses rayons. »

Il craint un recul des vins du terroir dans les épiceries et dépanneurs, qui va en dernière analyse profiter à des vignobles étrangers. « Si le client a le choix entre un vin australien à 12 $ et une bouteille québécoise à 27 $… Ça va être difficile. »