(Ottawa) L’économie canadienne prend du mieux, 14 mois après le début de la pandémie de COVID-19. Mais l’ampleur de la troisième vague qui déferle sur plusieurs régions du pays justifie un plan de relance de 100 milliards de dollars sur trois ans pour « guérir les blessures économiques » provoquées par cette crise, affirme la ministre des Finances, Chrystia Freeland.

Dans le premier budget qui porte sa signature – et le premier budget fédéral déposé par le gouvernement Trudeau en deux ans –, la ministre Freeland annonce ainsi la prolongation de la subvention salariale et de la subvention au loyer jusqu’au 25 septembre. À elle seule, cette mesure coûtera 12,1 milliards de dollars au fisc.

Une aide de près de 1 milliard de dollars est aussi accordée aux secteurs les plus touchés par la pandémie comme le tourisme, l’hôtellerie, les festivals et d’autres évènements qui sont au neutre en raison des mesures de confinement.

Cela devrait être le dernier coup de pouce financier du genre, tandis qu’Ottawa maintient son échéancier de vacciner l’ensemble des Canadiens qui le souhaitent d’ici la fin de septembre et prévoit une réouverture complète de l’économie d’ici la fin de l’été.

Le budget met aussi l’accent sur une relance économique verte, grâce à des investissements totalisant 5 milliards de dollars pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Cette somme, qui s’ajoute aux 3 milliards annoncés en décembre dernier, donnera notamment un coup de pouce aux entreprises pour réduire leur empreinte environnementale et un soutien aux propriétaires qui souhaitent rénover leur maison pour la rendre moins énergivore, entre autres choses.

« Ce budget vise à finir la lutte contre la COVID. Il vise à guérir les blessures économiques découlant de la récession causée par la COVID. Il vise également à créer des emplois et la prospérité pour les Canadiens dans les jours et les décennies à venir », a déclaré la ministre Chrystia Freeland dans son discours à la Chambre des communes.

Le déficit, qui atteindra finalement 354 milliards de dollars en 2020-2021, demeure à un niveau historique, même s’il est d’environ 30 milliards de dollars de moins que prévu lors de la mise à jour économique et financière de novembre dernier. Une reprise plus forte que prévu dans le dernier trimestre de 2020 explique cet écart. La ministre des Finances estime que le déficit fondra de plus de la moitié en 2021-2022 pour s’établir à 154,7 milliards. Il devrait être de 50,9 milliards l’année suivante et diminuer graduellement à 30 milliards en 2025-2026. Le retour à l’équilibre devra donc attendre encore.

30 milliards sur cinq ans pour un réseau national de garderies

Dans l’immédiat, la priorité est de soutenir ceux qui ont été le plus touchés par la crise, soit les femmes et les jeunes, les travailleurs à faibles revenus et les petites et moyennes entreprises, surtout dans le secteur de l’hôtellerie et du tourisme.

Ainsi, la ministre Freeland passe de la parole aux actes en jetant les bases d’un réseau national de garderies qui s’inspire largement du modèle québécois – la mesure la plus costaude du budget. En tout, le gouvernement Trudeau met sur la table une somme de près de 30 milliards de dollars en cinq ans afin d’inciter les autres provinces à emboîter le pas au Québec.

L’objectif est de réduire de moitié les frais moyens de services de garde partout à l’extérieur du Québec d’ici la fin de 2022 – des frais qui peuvent atteindre quelque 60 $ par jour par enfant dans la région de Toronto, par exemple. D’ici 2025-2026, année où le fédéral investira 8,3 milliards de dollars par année dans ce programme, on vise une moyenne de 10 $ par jour pour toutes les places autorisées en garderie au Canada. Le gouvernement Trudeau promet de conclure un accord asymétrique avec le Québec qui lui permettra un droit de retrait avec pleine compensation financière.

« C’est la recette gagnante pour l’emploi et la croissance, qui permet aux mères et aux pères de travailler, augmentant ainsi notre main-d’œuvre et stimulant notre croissance », a avancé la ministre Freeland.

« La vérité est que la tragédie de la COVID-19 a créé une occasion. […] C’est une infrastructure sociale qui stimulera l’emploi et la croissance. C’est une politique économique féministe. C’est une politique économique très sensée. Je fais cette promesse aux Canadiens, en tant que ministre des Finances et en tant que mère qui travaille. Nous allons y arriver », a-t-elle ajouté.

Pas de nouveaux transferts en santé

Dans son budget, la ministre Freeland ne donne pas suite à la demande des provinces d’augmenter les transferts en santé de 28 milliards de dollars par année. Elle s’est contentée de réitérer l’engagement du premier ministre selon lequel cette question, qui est une source de tension entre Ottawa et les provinces, sera abordée après la pandémie.

Mais la ministre propose d’investir 3 milliards de dollars sur cinq ans pour améliorer les services dans les centres de soins de longue durée, où s’est produite une véritable hécatombe durant la première vague. L’objectif est de s’assurer que les provinces offrent aux personnes âgées qui y résident des soins et des services qui répondent à des normes nationales.

Et pour s’assurer que le Canada ne soit jamais plus tributaire de vaccins fabriqués dans des usines établies à l’étranger en temps de crise sanitaire, la ministre Freeland annonce des investissements de 2,2 milliards de dollars afin de renforcer le secteur de la biofabrication et des sciences de la vie au pays au cours des prochaines années. « La fabrication de nos propres vaccins est essentielle à notre sécurité nationale », a soutenu la ministre.

De l’aide aux entreprises

Le budget donne aussi un coup de pouce important aux petites et moyennes entreprises en leur offrant 4 milliards de dollars au cours des quatre prochaines années afin de les aider à acquérir les nouvelles technologies qui leur permettront de devenir plus efficaces, de passer au numérique et de devenir plus compétitives.

En outre, Ottawa allonge 595 millions aux PME pour leur permettre d’embaucher plus facilement des travailleurs qu’elles ont dû laisser aller ou pour en embaucher de nouveaux.

Parmi les autres mesures importantes, la ministre Freeland a annoncé qu’Ottawa veut faire passer le salaire horaire minimal fédéral à 15 $ (26 000 travailleurs seront touchés) et qu’elle prolonge la dispense d’intérêts sur les prêts étudiants fédéraux jusqu’en mars 2023.

Si le budget n’augmente pas le fardeau fiscal de la classe moyenne, il impose de nouvelles taxes de luxe sur les voitures neuves et les avions privés d’une valeur de plus de 100 000 $ et sur les bateaux de plaisance d’une valeur supérieure à 250 000 $. Également, dès mardi, la taxe d’accise sur le tabac augmentera de 4 $ par cartouche de 200 cigarettes.

Dans son budget, la ministre Freeland répond à ceux qui s’interrogent si Ottawa peut se permettre de tels déficits.

« Dans le contexte actuel où les taux d’intérêt sont faibles, non seulement nous pouvons nous permettre ces investissements dans l’avenir du Canada, mais il serait peu judicieux de notre part de ne pas faire ces investissements », a-t-elle dit.

Selon elle, les programmes d’aide d’urgence aux familles, aux travailleurs et aux entreprises mis sur pied durant la pandémie ont permis « de préserver notre capacité économique ».

« Nous pouvons nous permettre ce budget ambitieux parce que les dépenses que nous proposons aujourd’hui sont responsables et viables. Nous savons qu’il y a des limites à notre capacité d’emprunt et que le monde ne fera pas de chèque en blanc au Canada. Nous ne nous attendons pas à cela. »

Ils ont dit

« Les Canadiens demandent un plan de reprise économique qui améliore leur sécurité financière en créant des emplois, en augmentant les salaires et en réduisant le fardeau fiscal. Malheureusement, ce budget ne fait pratiquement rien pour protéger l’économie canadienne. […] Le premier ministre veut tester un plan de dettes incontrôlées sans véritables mesures de relance, abandonnant totalement le secteur des ressources naturelles et n’offrant pas de véritable cible budgétaire. »

– Erin O’Toole, chef du Parti conservateur

« Il y a du bon dans le budget, je ne peux pas dire qu’il n’y a que du mauvais […] [mais] il y a des choses dont on ne sait pas précisément comment ça va se moduler. »

– Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

« Nous avons appris beaucoup de choses sur Justin Trudeau ces dernières années. Il évoque de belles paroles, sans avoir l’intention de les mettre en pratique. Les libéraux promettent des garderies depuis 28 ans, un régime d’assurance médicaments depuis 24 ans, et ils ont promis un salaire minimum fédéral lors de la dernière élection. S’ils avaient la moindre intention de le faire, ce serait déjà fait. »

– Jagmeet Singh, chef du NPD

« Malgré toutes les subventions et les dépenses de relance, la seule voie vers une croissance réelle et durable commence par aider les propriétaires d’entreprises de ce pays à créer plus d’occasions pour un plus grand nombre de Canadiens. Les entreprises sont celles qui stimulent l’économie, créent et développent des organisations qui embauchent des Canadiens et construisent des projets. […] Le plan de réduction des déficits au cours des prochaines années est important, mais il dépendra de notre capacité à atteindre nos objectifs de croissance. »

– Perrin Beatty, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Canada

« Il ne faut pas se leurrer : la vaste majorité des mesures annoncées dans ce budget n’ont rien à voir avec la pandémie. C’est plutôt la récupération d’une crise mortelle pour faire passer un plan cynique d’augmentation des dépenses à crédit. La ministre des Finances Chrystia Freeland augmente les dépenses fédérales de manière permanente de plus de 100 milliards de dollars d’ici 2026, et elle n’a aucune idée de comment elle payera pour. »

– Franco Terrazzano, directeur fédéral de la Fédération canadienne des contribuables