C’est une occasion qui n’arrive qu’une fois. Les économies mises à mal par la pandémie se préparent à redémarrer. Le plan de relance de l’économie américaine lancé par l’administration Biden fait une large place aux énergies vertes et propulsera des entreprises d’ici pendant les prochaines années. Plusieurs sont déjà prêtes à en tirer profit. 

Marmen au cœur de l’action

Le fabricant de tours d’éoliennes de Trois-Rivières n’a pas attendu le plan de relance de l’administration Biden pour tenter de conquérir le marché américain. Avec une usine au Dakota du Sud et bientôt une deuxième dans l’État de New York, Marmen est déjà installé au cœur du développement des énergies renouvelables aux États-Unis.

« Avec le plan de Biden, ça va s’accélérer, c’est certain », dit Vincent Trudel, vice-président et chef des opérations.

Le fabricant a fait ses premières armes dans les parcs éoliens du Québec, jusqu’à ce que le développement prenne fin pour cause de surplus d’électricité. Sa décision d’exporter ses tours d’acier aux États-Unis le place maintenant en position de tête pour la suite.

Marmen mise sur l’éolien en mer (offshore), que l’État de New York a décidé de développer à la vitesse grand V. Avec deux partenaires, l’entreprise québécoise construit une usine de fabrication de tours d’éoliennes dans le port d’Albany, qui sera prête en 2023 et qui emploiera 350 personnes.

Compte tenu de l’élan à venir dans les énergies renouvelables sur le sol américain, « on a les yeux ouverts pour d’autres occasions », dit Vincent Trudel.

L’éolien en mer, c’est un filon prometteur pour Marmen.

Les coûts ont baissé, les éoliennes sont plus puissantes et ça résout le problème de transmission, puisqu’il est de plus en plus compliqué de construire des lignes de transport dans les zones densément peuplées.

Vincent Trudel, vice-président et chef des opérations de Marmen

L’entreprise a déjà goûté au protectionnisme américain. Elle conteste actuellement les droits de 6 % imposés par l’administration Trump sur ses tours fabriquées au Québec. « Ça ne nous empêche pas d’exporter, mais ça nous incite à fabriquer là-bas », dit Vincent Trudel, qui estime que l’économie américaine reste, malgré tout, une des économies les plus ouvertes du monde.

AddÉnergie à fond de train

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Le réseau d’AddÉnergie, une entreprise de Québec, compte 55 000 bornes publiques, commerciales et résidentielles.

Le marché des bornes de recharge pour véhicules électriques est déjà en ébullition depuis plusieurs années. « L’intention annoncée par le président américain de soutenir l’installation de 500 000 bornes aura un effet catalyseur », se réjouit Sylvain Bouffard, directeur des communications et des affaires publiques d’AddÉnergie, née à Québec en 2009.

Le développement d’un réseau de bornes va faire en sorte que plus d’Américains vont prendre la décision de passer au véhicule électrique. Ça signifie une demande de recharge accrue à la maison et dans les lieux de travail. « On offre tout ça », résume le dirigeant.

Le réseau d’AddÉnergie compte 55 000 bornes publiques, commerciales et résidentielles. L’entreprise les fabrique actuellement à Shawinigan. Des décisions devront être prises concernant l’agrandissement de cette usine ou une installation aux États-Unis, précise Sylvain Bouffard. « Le protectionnisme est une préoccupation, c’est pour ça qu’on pense s’installer là-bas, dit-il. Mais juste la taille du marché le justifierait de toute façon. »

AddÉnergie a déjà des équipes en Californie, dans l’État de New York et en Floride.

Certains États sont en avance, mais l’électrification est une tendance de fond.

Sylvain Bouffard, directeur des communications et des affaires publiques d’AddÉnergie

La concurrence va s’intensifier, reconnaît Sylvain Bouffard. « Mais on a une offre très concurrentielle. »

L’entreprise est appuyée par la firme américaine Energy Impact Partners, qui a participé à sa dernière ronde de financement. Cette plateforme d’investissement spécialisée dans la transition énergétique a notamment été attirée par les déploiements déjà réalisés par AddÉnergie sur le sol américain et par son potentiel de croissance. Pour l’entreprise de Québec, ce partenaire stratégique est précieux. AddÉnergie vise une part de 20 % du marché américain des bornes de recharge.

Boralex

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Patrick Decostre, président-directeur général de Boralex

Des milliards pour alimenter l’économie verte aux États-Unis, c’est une première, souligne Patrick Decostre, président-directeur général de Boralex. « C’est une bonne nouvelle pour Boralex et une bonne nouvelle pour la planète. »

L’objectif de Boralex d’avoir 8 % de sa capacité de production aux États-Unis en 2023 est déjà dépassé. Le plan de relance américain force une mise à jour du plan stratégique de l’entreprise. « Il y aura plus d’États-Unis et plus de Québec » dans le plan de match, indique Patrick Decostre.

Boralex a 30 ans et est présente aux États-Unis depuis 20 ans. C’est un peu la doyenne des entreprises québécoises du secteur des énergies renouvelables. « Il y a 30 ans, on courait après les banquiers, dit-il, aujourd’hui c’est l’inverse. »

L’entreprise a des activités au Canada, aux États-Unis et en France, dans l’hydroélectricité, l’éolien et le solaire. Cette expérience est un atout pour bénéficier des occasions qu’offrira la décarbonisation de la production d’électricité aux États-Unis.

Il va y avoir des investissements importants dans les réseaux électriques pour intégrer plus d’énergie renouvelable. Il va y avoir plus de stockage. C’est tout à fait cohérent avec notre plan.

Patrick Decostre, président-directeur général de Boralex

La combinaison parc solaire et stockage apparaît comme la voie la plus prometteuse pour Boralex. La Californie mise sur le solaire pour que 60 % de sa consommation électrique provienne de sources renouvelables en 2030 et qu’elle soit complètement carboneutre en 2045. « C’est pour ça qu’on est en Californie, dit Patrick Decostre. On apprend des marchés plus matures pour ensuite le faire ailleurs. »

Selon lui, les changements qui s’amorcent dans le monde de l’énergie sont aussi importants que ceux qui ont mené de la diligence au chemin de fer. « Il y en aura pour tout le monde », assure-t-il.

Énergir met le cap sur le solaire

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Énergir mise sur le gaz naturel renouvelable, mais également sur le solaire et l’éolien.

Énergir travaille depuis des années à devenir plus qu’un distributeur de gaz naturel. Le plan Biden pourrait lui permettre de conclure son virage vers les énergies renouvelables.

Étienne Champagne, vice-président, fusions et acquisitions, développement et projets majeurs, est conscient de l’occasion qui se présente.

C’est un immense budget. Il faudra voir la part qui ira aux énergies renouvelables, ça reste à déterminer, mais ça risque d’être important.

Étienne Champagne, vice-président, fusions et acquisitions, développement et projets majeurs d’Énergir

Énergir a déjà défini les avenues de croissance que ce plan lui offre. « On est dans deux univers, le solaire et l’éolien, et le gaz naturel renouvelable. Un des volets qui nous intéresse, c’est le moyen solaire, soit entre 1 et 10 mégawatts (MW). »

Les véhicules qui lui permettront d’avancer sont déjà là. Sa filiale américaine Standard Solar, acquise en 2017, réalise des projets solaires de A à Z, et en a actuellement pour 200 MW.

Son autre filiale américaine, Green Mountain Power, au Vermont, a développé de la production solaire et du stockage et les a intégrés à son réseau. « La batterie au Vermont, c’est un succès pour nous, qui pourrait être transféré ailleurs, chez d’autres distributeurs électriques qu’on pourrait acquérir », précise Étienne Champagne.

Propriété d’actionnaires aux reins solides, parmi lesquels on trouve la Caisse de dépôt, Énergir a les moyens de ses ambitions. Et « l’avantage d’être une équipe opérationnelle et stratégique », souligne le vice-président.

Le remplacement du charbon et des autres énergies polluantes utilisées aux États-Unis est un levier important pour les entreprises comme Énergir. Le plan Biden va inciter les États à accélérer leur objectif environnemental, estime-t-il.

« Chaque État va devoir changer 25, 30 ou 40 % de son portefeuille en énergies renouvelables. Et si le gouvernement fédéral demande aux établissements comme les écoles de se convertir, ça va accélérer les développements qui peuvent nous intéresser. »

La course contre la montre de Nouveau Monde Graphite

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE NOUVEAU MONDE GRAPHITE

Nouveau Monde Graphite développe une mine de graphite à Saint-Michel-des-Saints et une usine pour transformer ce graphite en matériau de batteries pour véhicules électriques à Bécancour.

Tous les plans de relance économique des pays industrialisés viseront à réduire d’une façon ou d’une autre leur dépendance à l’égard de la Chine pour des produits essentiels. Cette vague soulèvera tout le secteur des ressources et en particulier celui des minéraux dits critiques et stratégiques.

Si nous, on n’en profite pas, personne d’autre n’en profitera en Amérique du Nord.

Éric Desaulniers, président et chef de la direction de Nouveau Monde Graphite

L’entreprise mène de front le développement d’une mine de graphite à Saint-Michel-des-Saints et d’une usine pour transformer ce graphite en matériau de batteries pour véhicules électriques à Bécancour. Des centaines de millions d’investissements sont au programme. L’échéancier prévu est 2023 pour la mine et 2025 pour l’usine de matériel d’anode.

« Nos timings sont bien alignés avec ceux des fabricants nord-américains », estime Éric Desaulniers. À condition que le projet se déroule comme prévu, précise-t-il.

Nouveau Monde Graphite veut devenir le premier fournisseur de graphite de qualité batterie en Amérique du Nord, en visant la carboneutralité pour l’ensemble de sa production.

La chaîne d’approvisionnement pour les batteries qui équiperont les futures Ford et GM produites aux États-Unis pourrait toutefois se mettre en place avant 2025. Le graphite qui alimentera la fabrication nord-américaine des batteries viendra alors de la Chine, actuellement le seul fournisseur de l’industrie. Ça va probablement arriver, reconnaît Éric Desaulniers. Il mise toutefois sur l’intention des constructeurs de diversifier leur approvisionnement en graphite, en utilisant une source locale et plus propre.

Nouveau Monde Graphite ne remplacera pas la Chine comme premier producteur mondial, mais sera « un bon numéro deux », selon lui. « On amène une diversification des sources d’approvisionnement, une option nord-américaine à prix concurrentiel pour un produit entièrement importé d’Asie, dit-il. On est très bien positionnés. »