(Ottawa) Le programme de construction d’une nouvelle flotte de navires de guerre pour la Marine ne changera pas d’orientation, malgré l’avertissement lancé par le directeur parlementaire du budget sur l’escalade des coûts, indique le plus haut responsable des achats militaires au pays.

En entrevue exclusive accordée à La Presse Canadienne, Troy Crosby, le sous-ministre adjoint (matériel) de la Défense nationale, demeure persuadé que la construction des 15 navires coûtera environ 60 milliards comme prévu. Selon lui, modifier le programme pour économiser de l’argent ne ferait qu’entraîner des retards et compromettrait la capacité de la Marine à protéger le Canada.

« Notre solution fournira l’équipement dont la Marine et le Canada ont besoin à long terme pour ses marins, soutient-il. Nous allons faire de notre mieux pour livrer ces navires le plus rapidement possible pour la Marine qui en a besoin. »

En février, le directeur parlementaire du budget Yves Giroux a publié un rapport dans lequel il prévoit une forte augmentation des coûts du programme.

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Le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux

Selon lui, le programme de remplacement des frégates et de destroyers de la Marine coûtera plutôt 77,3 milliards. Il y a 10 ans, lors de son lancement, le projet était estimé à 26 milliards.

M. Crosby se montre catégorique quant aux estimations gouvernementales établies en juin 2017. « Il [le DBP] utilise un modèle différent de celui que nous avons. Ce n’est pas grave, car cela fournit une comparaison, souligne-t-il. Nous sommes convaincus de nos estimations. »

Le sous-ministre demeure en confiance, même si le ministère de la Défense nationale a reconnu que le premier de ces 15 nouveaux navires de guerre sera livré des années plus tard que prévu.

Le ministère de la Défense s’était tenu en février à son estimation de 60 milliards, en soutenant que M. Giroux avait mis trop d’accent dans ses calculs sur le poids des navires et que son estimation de 77 milliards incluait les taxes que le gouvernement n’a pas à payer.

M. Crosby dit que l’estimation de 60 milliards comprend aussi un fonds de prévoyance. Sa confiance envers les chiffres du gouvernement est fondée sur une meilleure compréhension du programme au fil des ans.

« Nous avons beaucoup plus de faits à apporter à l’estimation des coûts », déclare-t-il. Les informations que nous ont fournies les sous-traitants et l’expérience qu’ils ont acquise à l’échelle internationale dans le cadre du programme Type-26, par exemple, peuvent désormais être intégrées à nos propres estimations. »

Giroux et son équipe ont également examiné l’idée d’un programme hybride qui verrait le Canada construire trois navires de type-26 et 12 autres de types différents. À l’heure actuelle, la flotte canadienne compte trois destroyers de classe Iroquois et 12 frégates de classe Halifax.

Selon M. Giroux, le gouvernement pourrait économiser jusqu’à 40 milliards s’il ne construisait que trois frégates de Type 26 et 12 de Type 31e, plus petits et moins performants, ce que la Grande-Bretagne a décidé de faire

Le Canada pourrait également économiser 50 milliards s’il abandonnait les frégates de Type-26 et optait pour une flotte entièrement composée de navires de Type-31. Le DPB note toutefois que « cette version particulière [le 31] a été conçue pour être déployée avec le navire de type 26 plus “ haut de gamme ” ».

Le redémarrage de l’ensemble du projet pourrait également entraîner un retard de quatre ans avant le début de la construction de cette flotte. M. Giroux et son équipe ont estimé qu’un retard d’un an dans le projet ajouterait 2,3 milliards à la facture globale et un retard de deux ans, 4,8 milliards.

Le gouvernement a précédemment déclaré qu’il n’avait pas l’intention de redémarrer le projet.

M. Crosby a défendu l’actuel programme en affirmant qu’il est le seul qui répond vraiment aux besoins de la Marine.

Main-d’œuvre

M. Crosby partage les préoccupations récentes de la vérificatrice générale concernant le manque de travailleurs qualifiés dans les chantiers navals de Vancouver et de Halifax, affirmant que c’est un problème que les fonctionnaires surveillent de près.

Dans un récent rapport, Karen Hogan soulignait également la nécessité de recruter davantage de fonctionnaires pour superviser les projets de construction navale.

« Il n’y a pas suffisamment de main-d’œuvre pour faire tout ce qui doit être fait, mais ce n’est pas grave, car ce travail n’a pas besoin d’être terminé aujourd’hui, dit M. Crosby. C’est certainement quelque chose que nous surveillons également. »

Il a également laissé entendre que certains des projets déjà en cours pourraient subir de nouveaux retards, car les chantiers navals ont été contraints de réduire leurs activités et de s’adapter à la pandémie de COVID-19.

« La COVID a représenté un défi dans les chantiers, avance M. Crosby. Ses conséquences ne seront connues qu’avec le temps. »