Ce n’est jamais drôle d’être pris dans la circulation urbaine, mais quand une route stratégique internationale est bloquée, les conséquences sont énormes. Le navire échoué dans le canal de Suez la semaine dernière cause un embouteillage monstre dans les échanges internationaux. Lueur d’espoir, l’Agence France-Presse rapportait tard dimanche que le porte-conteneurs avait « commencé à bouger ».

Malgré les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis, et malgré la COVID-19, le commerce international de marchandises a rebondi avec force depuis le début de l’année. La pénurie mondiale de conteneurs et la hausse des coûts du transport maritime semblent indiquer que la mondialisation est loin d’être morte.

La presque totalité de ce qui se consomme dans le monde emprunte les voies maritimes sous une forme ou sous une autre : pétrole, céréales, minerais, produits manufacturés. Ça s’explique. Malgré sa lenteur, le transport par bateau reste la façon la moins coûteuse d’acheminer les marchandises sur de longues distances.

Le canal de Suez, bloqué depuis mardi dernier par un porte-conteneurs échoué en travers, est un des liens stratégiques pour le commerce mondial, avec le détroit d’Ormuz, le canal de Panamá et le détroit de Malacca.

Inauguré en 1869 et nationalisé par l’Égypte en 1956, le canal de Suez permet de réduire de moitié le temps (et le coût) du transport entre l’Asie et l’Europe.

Il n’y a pas que le pétrole qui emprunte ces autoroutes de la mer. Aujourd’hui, la mondialisation et les procédés de fabrication « juste-à-temps » font qu’à peu près tous les secteurs d’activités économiques dépendent de produits transportés par bateau.

Le blocage du canal de Suez pourrait ainsi avoir un impact sur le secteur de la construction de voitures, déjà ralenti par la pénurie de semi-conducteurs, et toutes sortes de produits finis qui ne se retrouveront pas sur les rayons des magasins comme prévu.

Le tiers du trafic mondial de conteneurs transite par le canal de Suez chaque jour. Chaque jour, ce sont 52 navires qui font la traversée, qui dure entre 12 et 16 heures.

Deux cents bateaux étaient en attente à un bout ou à l’autre du canal de Suez vendredi dernier. Les propriétaires de certains d’entre eux choisiront d’attendre, d’autres leur feront contourner le continent africain, même si ça ajoute 6000 km et 15 jours au trajet.

Les coûts de ce genre d’embouteillage sont faramineux : 400 millions de dollars par heure d’immobilité, selon Lloyd’s. De 6 à 10 milliards par semaine, estime l’assureur allemand Allianz.

Vers une route du Nord

Le blocage du canal de Suez pourrait remettre à l’ordre du jour les projets de nouvelles routes maritimes, dont certains sont examinés depuis très longtemps. Le canal de Panamá et le canal de Suez ont déjà été élargis et doublés sur une partie de leur longueur, à grands frais et au maximum de leur potentiel. Les échanges commerciaux en croissance, les navires de plus en plus gros, le trafic maritime intense ont révélé les limites des liens existants. La nécessité de tracer de nouvelles autoroutes maritimes s’impose pour des pays comme la Chine, qui investit des milliards dans son plan Belt and Road, appelé aussi Nouvelle Route de la soie, pour étendre son empire commercial.

Dans les projets envisagés, il y a un canal de 150 km pour relier l’océan Indien et la mer de Chine, en passant par le sud de la Thaïlande. Il est aussi question d’un canal concurrent au canal de Panamá, qui passerait par le Nicaragua, plus au nord, et qui raccourcirait le trajet des navires de 800 kilomètres.

La route du Nord est un scénario de plus en plus envisagé, à mesure que le réchauffement climatique réduit le couvert de glace et facilite la navigation. Les Russes, en tout cas, ont déjà sauté sur l’occasion du blocage du canal de Suez pour rappeler que la route du Nord, du côté russe, est de plus en plus praticable. Et pratiquée, du moins en été, notamment par Total, qui transporte du gaz naturel liquide entre la Norvège et la Corée.

Du côté canadien, le passage du Nord-Ouest, qui relie l’Alaska au Groenland, est aussi un chemin possible. Le trajet entre Londres et Tokyo serait raccourci du quart. La distance à parcourir serait de 15 700 km, en comparaison de 23 300 km par le canal de Panamá et de 21 200 km par le canal de Suez. En outre, avec la hausse du niveau de la mer, la profondeur des eaux permettrait le passage de navires de gros gabarit.

Ce n’est pas pour demain. Dans le cas du passage du Nord-Ouest, il y a d’abord un problème de taille à régler. Le Canada considère que l’archipel arctique et les eaux qui l’entourent lui appartiennent, tandis que pour les États-Unis, il s’agit d’eaux internationales où la souveraineté canadienne ne s’applique pas.