(Québec) Les finances publiques du Québec vont rester en zone rouge plus longtemps que prévu. Le gouvernement Legault reporte le retour à l’équilibre budgétaire dans sept ans, plutôt que cinq, pour concentrer ses efforts sur la relance de l’économie et le redressement du système de santé. L’heure des choix difficiles pour sortir du trou viendra après les élections générales de 2022.

« Le Québec doit faire les choses dans l’ordre. Comme le dit le proverbe, chaque chose en son temps », a déclaré le ministre des Finances, Eric Girard, à l’occasion du dépôt de son budget 2021-2022 au Salon bleu de l’Assemblée nationale jeudi. Avant de s’attaquer au déficit, il faut d’abord « vaincre la pandémie » et s’assurer que « l’économie du Québec ait retrouvé sa vigueur ».

Comme prévu, le déficit pour l’exercice qui se termine le 31 mars s’élève à 15 milliards en raison des effets de la pandémie, mais ceux des deux prochains exercices sont revus à la hausse par rapport aux plus récentes prévisions. Ce sera 12,3 milliards en 2021-2022 (au lieu de 8,3) et 8,5 milliards l’année suivante (au lieu de 7). Le « déficit structurel », celui qui restera après la crise, s’élève à 6,5 milliards de dollars annuellement, estime Québec.

Jusqu’ici, Eric Girard soutenait que le déficit zéro serait atteint dans cinq ans, conformément à la Loi sur l’équilibre budgétaire. Il révise sa position.

« J’annonce que le gouvernement a comme objectif de retrouver l’équilibre budgétaire en sept ans, soit d’ici 2027-2028 », a-t-il affirmé. Il suspendra les effets de la loi pour les deux prochaines années afin de « permettre au gouvernement de réduire graduellement le déficit sans nuire à la reprise durable de la croissance de l’économie ».

L’Ontario, qui a déposé son budget mercredi, ne prévoit pas de retour à l’équilibre avant sept ans lui non plus.

Après un recul de 5,3 % en 2020 causé par les effets de la pandémie, le PIB réel va croître de 4,2 % en 2021, selon les prévisions du ministère des Finances. Eric Girard se fait prudent ici : les prévisionnistes du secteur privé s’attendent à 5,1 % en moyenne.

Québec table sur une croissance limitée de ses revenus en 2021-2022, de 1,9 %, mais on passe rapidement à 3,2 % dès 2022-2023 et même à 3,5 % l’année suivante selon ses prévisions.

Des milliards pour la relance

Le gouvernement hausse ses investissements pour favoriser la relance économique, avec un plan de 4 milliards de dollars en cinq ans. Il prolonge les mesures d’aide aux entreprises.

Québec augmente de 4,5 milliards les investissements dans le Plan québécois des infrastructures, qui passent à 135 milliards en 10 ans. La facture des maisons des aînés explose. La promesse électorale de la CAQ passe de 1,5 à 2,6 milliards de dollars d’ici 2022-2023. Le gouvernement s’est engagé à créer 2600 places à temps pour les élections, réparties dans 48 établissements.

Les dépenses des ministères vont augmenter de façon importante cette année, de 5,4 %, ce qui représente environ 6 milliards de dollars. Et c’est sans tenir compte des mesures de relance et de soutien pour faire face à la pandémie qui coûteront à elles seules 4,3 milliards. Elles auront coûté environ 17 milliards en deux ans.

Si l’on tient compte des pertes de revenus pour l’État et de l’ensemble des dépenses occasionnées par la COVID-19, « le coût total de cette pandémie » est estimé à 30 milliards, a signalé Eric Girard.

Santé et éducation

En santé, Québec ajoute 2,9 milliards cette année pour financer entre autres la campagne de vaccination, l’ajout de personnel, un plan de rattrapage des opérations chirurgicales reportées à cause de la COVID-19 et un rehaussement des soins à domicile. Les dépenses du ministère de la Santé seront moins élevées en 2021-2022 que l’an dernier si l’on tient compte des mesures exceptionnelles et non récurrentes provoquées par la pandémie ; en excluant celles-ci, elles augmentent de plus de 5 %.

En éducation, la hausse du budget s’élève à 4,6 %, près de 800 millions. Et en enseignement supérieur, on atteint une augmentation rarement vue de 8,2 %, soit 700 millions. Québec annonce un train de mesures pour combler les retards scolaires causés par la pandémie, lutter contre le décrochage et favoriser la diplomation dans les cégeps et les universités.

Gestion serrée à venir

Québec compte limiter la croissance des dépenses dans les années à venir. En 2022-2023, les dépenses devront être ramenées à 2,5 %. La santé aura droit à 4 % ; l’éducation, à 3 % ; les autres ministères seront gelés (- 0,2 %).

La présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, veut récupérer 2 milliards de dollars d’ici deux ans avec des « mesures d’optimisation », dont une coupe de 5000 postes administratifs dans les ministères et organismes et une « révision de programmes ». « Ce ne sera jamais dans le but d’atteindre les services aux citoyens », a-t-elle soutenu, une promesse que l’on a entendue maintes fois à Québec, mais qui n’a pas toujours été respectée.

Selon Eric Girard, il n’y aura « aucune mesure de résorption du déficit tant que le Québec n’aura pas retrouvé son niveau d’emploi d’avant la pandémie ». Ce sera fait à la fin de 2022. On redressera donc la barre après les élections.

Retour à l’équilibre budgétaire

S’il a choisi de reporter dans sept ans le retour à l’équilibre, c’est parce que « c’était un peu trop » comme effort à ses yeux de résorber le déficit structurel en cinq années. Les élections de l’automne 2022, « ce n’était pas une considération pour moi », a répondu M. Girard, tout en reconnaissant que « les défis seront importants pour rétablir les finances publiques ». Des économistes avaient estimé que l’échéancier de cinq ans était irréaliste. Tant le Conseil du patronat que les centrales syndicales avaient réclamé un report. Même le Parti libéral du Québec, qui avait été inflexible quant à l’atteinte du déficit zéro sous Philippe Couillard, faisait la même demande.

Pour résorber le déficit, Québec mise sur une croissance économique soutenue et une hausse des dépenses arrimée à celle des revenus. Mais surtout, il compte beaucoup sur Ottawa. Québec réclame une hausse des transferts fédéraux de 6 milliards de dollars par année. Il a inséré un fascicule spécial de 20 pages sur le sujet parmi ses documents budgétaires.

Eric Girard a promis de « ne pas augmenter le fardeau fiscal des Québécois ». Il a précisé plus tard qu’il parlait de l’impôt sur le revenu et de la TVQ. Son engagement ne concerne pas les tarifs, doit-on conclure.

Québec maintient les versements de plus de 3 milliards par année au Fonds des générations, qui sert à réduire le poids de la dette. La loi sera toutefois modifiée, car les cibles de réduction d’endettement prévues pour 2025-2026 ne sont pas atteignables.

Les partis d’opposition réagissent

Il y avait un test pour le gouvernement pour arriver avec une vision pour la relance économique : une vision verte, une vision égalitaire, une vision moderne. Au niveau de l’environnement, il n’y a aucune nouvelle mesure pour aider les entreprises pour entreprendre un vrai virage. C’est le budget le moins vert qu’on a vu depuis longtemps […] On avait besoin, dans le contexte, d’un budget qui était visionnaire, ambitieux, mais l’exercice auquel on assiste est conservateur et traditionnel.

André Fortin, porte-parole en matière de finances publiques, Parti libéral du Québec

Après l’année qu’on vient de vivre, la souffrance vécue par la population. […] Les Québécoises et Québécois ont mangé la claque cette année […] et malgré ça, le ministre Girard fait son petit train-train quotidien comme si on ne sortait pas d’une crise majeure. On se serait attendu à un budget ambitieux qui aurait permis de faire la transition vers une nouvelle économie, qui aurait permis aux Québécois de retrouver un certain espace de sécurité, leur gagne-pain, un peu d’espoir en l’avenir.

Manon Massé, co-porte-parole de Québec solidaire

Ce budget de la CAQ n’est pas le budget du Québec de demain, c’est le budget du Québec d’hier. Un Québec gris. Un Québec injuste et toujours plus dépendant du Canada. Si la population québécoise est résiliente à travers cette crise, et elle l’est, assurément ce budget ne leur donnera pas confiance.

Martin Ouellet, porte-parole en matière de finances, Parti québécois

Propos recueillis par Fanny Lévesque, La Presse