Le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a rejeté la plainte pour négociation de mauvaise foi déposée par l’Association des employeurs maritimes (AEM) contre la section locale 375 du Syndicat canadien de la fonction publique, qui représente les quelque 1125 débardeurs du port de Montréal, mais il tape tout de même sur les doigts du syndicat.

« Le Conseil ne peut conclure qu’il y a impasse entre les parties dans les négociations collectives à ce stade-ci des négociations », affirme le CCRI dans un document de huit pages daté du 17 mars.

L’AEM espérait une intervention avant la fin de la trêve conclue en août dernier, qui vient à échéance le 21 mars.

Pratique déloyale

Le 1er février dernier, l’Association des employeurs maritimes avait déposé une plainte pour pratique déloyale de travail à l’encontre du Syndicat des débardeurs, alléguant que celui ne négociait pas de bonne foi.

Cette plainte était accompagnée d’une demande d’ordonnance provisoire pour suspendre le droit de grève, que le Conseil a rejetée le 2 mars.

Le Conseil a entendu les parties le 15 mars dernier, promettant de rendre sa décision dans les deux jours suivant l’audience.

Le document jette un éclairage nouveau sur la teneur des négociations des sept derniers mois, qui se sont tenues dans la plus grande discrétion – le silence devant les médias était requis par la trêve, qui suspendait grève et lock-out pendant sept mois.

Les positions

Selon le texte de la décision, l’Association des employeurs maritimes a soutenu que le syndicat avait agi de mauvaise foi tout au long du processus de négociation.

L’employeur a notamment allégué que les demandes du syndicat étaient imprécises, déraisonnables et qu’il n’avait pas fait preuve de diligence.

Très peu de demandes ont été réglées en dépit de la centaine d’heures de négociations, a déploré l’employeur, qui a soutenu que le syndicat prolongeait les négociations afin d’en arriver à la grève.

L’AEM a fait valoir que dans un contexte de pandémie mondiale et d’urgence sanitaire, le Conseil devait intervenir et ordonner le retrait de 78 demandes syndicales.

Le syndicat a rétorqué que l’AEM avait elle-même fait preuve de mauvaise foi en déposant sa première offre globale au Conseil dans le cadre d’une plainte plutôt qu’à la table de négociation.

L’intervention du Conseil n’était pas requise parce que les discussions étaient toujours en cours, a argué le syndicat.

La décision

En déposant sa première offre globale avec sa plainte du 1er février 2021 avant même de la présenter au syndicat, l’employeur « ne pouvait pas s’attendre à ce que le syndicat y réponde immédiatement et pleinement », fait valoir le Conseil dans sa décision.

Même si la trêve arrive à échéance le 21 mars 2021, « rien n’indique que le syndicat est sur le point d’exercer son droit de grève et d’insister sur certaines demandes », y lit-on.

Prenant appui sur la jurisprudence de ses décisions antérieures, le Conseil ne constate aucune proposition spécifique sur laquelle le syndicat se montrerait totalement inflexible. Le syndicat a retiré une quarantaine de demandes au cours des derniers échanges entre les parties, souligne-t-il.

Parce que les demandes sont encore en discussion, le Conseil juge prématuré de se prononcer sur leur caractère déraisonnable.

« En somme, les parties demeurent responsables de leurs négociations collectives et doivent poursuivre les efforts pour conclure une entente dans le cadre prévu au Code. Le Conseil ne peut conclure qu’il y a impasse et rejette donc la plainte. »

Mais le syndicat a-t-il fait tous les efforts raisonnables ?

« Le Conseil a de la difficulté à voir d’un bon œil le fait que le syndicat a déclaré une grève en août 2020 avant même d’avoir fourni à l’employeur les précisions nécessaires concernant ses revendications et sans avoir présenté ses revendications monétaires et salariales. Cela nous semble tout à fait irresponsable et non conforme à un processus de négociation raisonnable », répond le CCRI dans sa décision.

Le milieu des affaires inquiet

Les négociations demeurent donc entre les mains des parties patronale et syndicale, alors que le milieu des affaires s’inquiète de leur issue.

Le 18 mars, dans un communiqué commun, l’Association du camionnage du Québec, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le Conseil du patronat du Québec, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, la Fédération des chambres de commerce du Québec et les Manufacturiers et Exportateurs du Québec ont pressé la ministre du Travail du Canada, Filomena Tassi, « de tout mettre en œuvre pour assurer le maintien complet, en tout temps, des activités au port de Montréal et de rassurer les entreprises ».

Le fil des négociations

4 septembre 2018
Le syndicat envoie son avis de négociation.

31 décembre 2018
La convention collective arrive à échéance.

8 juin 2018
Le Conseil canadien des relations industrielles rejette la requête sur les services essentiels présentée par l’employeur.

7 août 2018
Le syndicat déclenche une grève générale.

21 août 2020
Une entente pour suspendre toute grève ou tout lock-out jusqu’au 21 mars 2021 est conclue.

5 novembre 2020
Les négociations reprennent.

25 janvier 2021
Alors qu’une lettre du syndicat accuse l’employeur d’être de mauvaise foi, la médiatrice conclut que les parties sont trop éloignées et annule les rencontres prévues.

1er février 2021
L’employeur dépose sa plainte pour pratique déloyale devant le Conseil et y joint une offre globale de règlement.

6 février 2021
Les négociations reprennent devant deux médiateurs nommés par le gouvernement.

12 février 2021
Les médiateurs jugent peu probable que les parties obtiennent un règlement dans les 14 jours impartis.

25 février 2021
Les négociations reprennent à la demande du syndicat.

26 février 2021
L’offre globale de l’employeur est formellement présentée au syndicat

2 mars 2021
Le Conseil rejette la demande d’ordonnance provisoire de l’employeur.

10 mars 2021
Le syndicat présente son offre globale de règlement et l’employeur dépose une deuxième offre globale.

17 mars 2021
Le Conseil rejette la plainte de pratique déloyale de travail déposée par l’employeur.

Source : décision du 17 mars du Conseil canadien des relations industrielles