Quand elle a la possibilité de nommer quelqu’un pour la représenter à un conseil d’administration, la Caisse de dépôt choisit une femme dans seulement deux cas sur dix. Cette proportion est moindre que la place détenue par les femmes dans les C.A. de sociétés boursières et reste loin de la parité souhaitée, se désolent deux spécialistes de la gouvernance d’entreprise.

Parmi les administrateurs nommés par la Caisse, 60 femmes siègent à des conseils, soit 20 % des 307 postes occupés, confirme l’institution par courriel.

Or, les femmes forment maintenant 30 % des conseils d’administration de sociétés publiques, selon un rapport récent de l’Institut sur la gouvernance d’organisations publiques et privées (IGOPP). L’IGOPP arrive à ce pourcentage après avoir scruté les C.A. de 76 entreprises régies par la Loi canadienne sur les sociétés par actions qui composent l’indice S&P/TSX.

L’institut se réjouit que la représentation féminine ait presque doublé en 10 ans, mais constate que les objectifs de mixité de 40 % établis par l’IGOPP lors de sa prise de position sur le sujet en 2009 sont loin d’être atteints.

CONSULTEZ le rapport de l’IGOPP « Les enjeux de la diversité à la direction et aux conseils d’administration des sociétés ouvertes »

https://igopp.org/wp-content/uploads/2021/02/IGOPP_Rapport_Diversite_2021_FR_WEB_v2.pdf

À la Caisse, on se défend bien de se traîner les pieds. « Notre objectif est d’augmenter la proportion de femmes au sein des conseils d’administration et nous travaillons à bonifier nos banques d’administrateurs et identifier les meilleurs talents pour nous aider à remplir nos responsabilités et amener davantage de diversité », écrit Serge Vallières, conseiller principal aux communications.

Des expertes en gouvernance s’attendent toutefois à beaucoup plus de la part de la Caisse à ce chapitre.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Caroline Codsi

La Caisse devrait faire mieux, surtout qu’elle prend tellement le temps de communiquer sur la diversité et a nommé beaucoup de femmes au sein de la direction.

Caroline Codsi, présidente-fondatrice de La Gouvernance au Féminin

Le gestionnaire d’actif des régimes publics d’assurance et de retraite des travailleurs québécois est en effet l’un des membres fondateurs du Réseau de leadership d’investisseurs (RLI), un groupe d’investisseurs internationaux qui agit sur des enjeux liés à la durabilité et à la croissance à long terme. Une des trois priorités du RLI est la diversité en investissement.

« On sait, c’est prouvé, qu’un C.A. avec que des hommes ne donne pas les meilleurs résultats au niveau des affaires, de l’innovation, de l’engagement, de la réputation, de l’attractivité et de la quête de clients », souligne Mme Codsi.

C’est d’autant plus décevant, selon elle, que la Caisse, étant assujettie à la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État, est astreinte à se doter d’un conseil d’administration paritaire depuis la fin de 2011. « Elle pourrait donc appliquer les mêmes règles quand elle recommande [un nom pour un siège au conseil] », souhaite-t-elle.

Investisseur de calibre international, la Caisse négocie un ou des sièges d’administrateur dans le cadre d’investissements d’envergure effectués dans une société.

Par exemple, dans la transaction qui a vu Alstom avaler Bombardier Transport, la Caisse est devenue dans la foulée le premier actionnaire d’Alstom avec 17,48 % des actions. En retour, elle a obtenu deux sièges au conseil et elle nomme un censeur, sorte de sage qui participe aux discussions du conseil sans pouvoir de décision. Les deux administrateurs de plein droit délégués par la Caisse sont Serge Godin, fondateur de CGI, et Kim Thomassin, première vice-présidente et cheffe des placements au Québec.

Aucune cible chiffrée

Autre facteur de désenchantement, la Caisse n’a pas d’objectif chiffré sur la représentation féminine parmi ses nominations aux conseils. « Cela fait partie des réflexions en cours, écrit M. Vallières, on pourra parler de la cible plus précisément quand ces travaux seront terminés. »

La Caisse poursuivra au cours des prochains mois son travail afin de bonifier ses pratiques en place dans l’optique de faire évoluer l’organisation en matière de diversité, d’inclusion et d’investissement durable, précise M. Vallières.

En tant qu’acteur de premier plan dans le monde de l’investissement, la Caisse pourrait montrer la voie en lançant un signal que la diversité des genres au conseil d’administration est une valeur importante pour elle, croit pour sa part Sophie Brière, professeure de management de la faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval.

« La Caisse de dépôt pourrait se donner des objectifs. Quand la Caisse nomme des administrateurs, elle pourrait s’assurer qu’il y ait une représentativité dans ses nominations de 40 % de femmes, par exemple », suggère Mme Brière, qui dirige aussi l’Institut EDI2, pour Équité, diversité, inclusion et intersectionnalité.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LA SOLEIL

Sophie Brière, professeure de management de la faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Sophie Brière, professeure de management de la faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval

Les gens nous disent que ça va se faire tout seul [la parité]. Ça fait 20 ou 25 ans que j’étudie ça et ça ne bouge pas pour la peine. Ce n’est pas vrai que ça va se faire tout seul. Ça prend des cibles avec des obligations.

Sophie Brière, professeure de management de la faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval

Mme Brière a rédigé deux rapports sur la diversité des conseils avec son collègue Jean Bédard.

Dans celui de 2018, qui portait sur la place des femmes dans les sociétés québécoises cotées en Bourse, Mme Brière et M. Bédard ont constaté que les femmes représentaient seulement 19 % des administrateurs et entre 20 et 30 % des nouveaux administrateurs nommés chaque année.

Trois pistes de solution

Pour Franziska Ruf, associée chez Davies, la question de la diversité de genre au sein des conseils va finalement dans la bonne direction.

« Ç’a pris du temps, mais il y a maintenant 70 % des sociétés cotées qui ont au moins adopté une politique et des cibles, ce qui est un début, et qu’elles doivent les divulguer. Les femmes représentent 31 % des C.A. de ces sociétés. On s’en va dans la bonne direction, mais il y a encore place à l’amélioration », dit Mme Ruf, qui siège au conseil de Saputo.

Depuis janvier 2020, les sociétés ouvertes régies par la Loi canadienne sur les sociétés par actions sont tenues de communiquer de l’information sur les politiques et pratiques en matière de diversité (au-delà du genre) au sein de leur organisation.

Mme Ruf, qui collabore à la rédaction d’un rapport annuel complet que la firme Davies publie sur les enjeux de gouvernance, croit au rôle proactif joué par les investisseurs institutionnels comme la Caisse.

« [Quand vient le temps de nommer des administrateurs], les investisseurs institutionnels vont prendre en considération ces normes de diversité, que ce soit sur le genre ou plus largement, avance la juriste. C’est un objectif qu’ils se sont donné, d’augmenter la diversité, et qu’ils ont annoncé publiquement. Les chiffres vont continuer à augmenter et à s’améliorer, absolument », réplique-t-elle quand on lui parle des 20 % de nominations féminines par la Caisse.

Trois priorités, selon Franziska Ruf

1) Diversifier la composition des comités de gouvernance et de nominations ;

2) Diversifier la composition de la haute direction ;

3) Se doter d’objectifs représentatifs de l’ensemble des parties prenantes de la société (fournisseurs, clients, gouvernements, actionnaires).