Les gestionnaires ont toujours de bonnes raisons pour justifier leurs mauvais rendements, surtout dans le secteur financier. Et en général, ils aiment bien s’attribuer les bons coups, mais montrer du doigt le contexte économique pour leurs mauvais.

Ce phénomène n’est pas sans intérêt, puisqu’une grande part de leur rémunération est liée à la plus-value qu’ils procurent à leur organisation par rapport au marché. La logique, c’est qu’on les paie très cher s’ils se surpassent, car les cotisants en profitent.

Cette année ne fait pas exception à la Caisse de dépôt et placement du Québec. Notre bas de laine collectif a réalisé un rendement global de 7,7 % en 2020, nettement en deçà de l’indice de référence auquel il se compare, de 9,2 %. Et il y a plein de bonnes raisons pour expliquer cet écart important.

De fait, la pandémie a nui aux rendements de l’institution, mais elle a aussi aidé, et ces éléments externes n’ont rien à voir avec le génie ou l’incompétence des employés de la Caisse.

Du côté négatif, la pandémie a obligé les aéroports à fermer, ce qui a fait perdre une fortune à leurs propriétaires. Ce fut le cas de l’aéroport de Londres Heathrow, dont la Caisse est actionnaire à 12,5 %. En 2020, Heathrow a perdu 2 milliards de livres sterling, soit l’équivalent de 3,5 milliards CAN. C’est énormément d’argent.

Et pour la Caisse, la déconfiture des aéroports représente une perte de rendement de 3 points de pourcentage pour son portefeuille infrastructures, dont le rendement est tout de même de 5,1 % en 2020, bien au-delà de l’indice comparable de 0,5 %. Autrement dit, au lieu de 5 %, la Caisse aurait eu 8,1 %.

Autre effet négatif des marchés : la folie pour les titres technos. Le PDG de la Caisse, Charles Émond, explique qu’il aurait été trop risqué, pour l’institution, d’avoir une part aussi grande de son portefeuille que l’indice dans les titres GAFAM, qui ont explosé l’an dernier. GAFAM est l’acronyme de Google, Apple, Amazon, Facebook, auxquels il faut ajouter Tesla et Shopify dans le phénomène, explique M. Émond.

Selon le PDG, cette sous-représentation de la Caisse a retranché plus de 4 points de pourcentage au rendement de l’institution dans les marchés boursiers, qui a été de 8,3 % en 2020. Cette montée particulière des titres technos a donné un rendement de 12,9 % à l’indice boursier de référence. Sans les GAFAM, cet indice aurait été de quelque 9 %, plus près du rendement de 8,3 % de la Caisse.

Cela dit, attention, la pandémie a aussi joué en faveur de la Caisse à l’égard d’éléments sur lesquels elle n’avait aucun contrôle. La chute vertigineuse des taux d’intérêt commandée par les banques centrales pour juguler la crise explique de 50 à 80 % du rendement de la Caisse dans l’énorme portefeuille de revenu fixe. Sans cette chute, le rendement aurait été non pas de 8,6 à 8,9 % pour les deux principaux sous-portefeuilles, mais de 1,8 % à 4,3 %.

Autre élément contextuel favorable à la Caisse : la chute du dollar américain. En 2020, cette chute a permis à la Caisse de majorer son rendement global de 0,3 point de pourcentage, à 7,7 % (au lieu de 7,4 %).

Bref, la Caisse est avantagée et désavantagée par une série d’éléments contextuels et ce scénario se répète chaque année.

Pour mieux juger de la performance de la Caisse – crise ou non –, il faut regarder à plus long terme, par exemple sur cinq ans.

Or, depuis cinq ans, la Caisse a battu son indice global de comparaison trois fois et a perdu à deux reprises. Pire : pour le portefeuille où l’indice de comparaison est le plus fiable – les marchés boursiers –, la Caisse a perdu trois fois sur cinq, rapportant un rendement annuel moyen de 9,4 %, contre 9,8 % pour l’indice.

Bref, quand tout est pris en compte – marchés boursiers, immobilier, titres à revenus fixes, placement privé, etc. –, le rendement annuel moyen de la Caisse a été de 7,8 % depuis cinq ans et il surpasse à peine sa référence, de 7,6 %.

Ce qui m’amène à poser cette question : avec de tels rendements, les gestionnaires de la Caisse méritent-ils les énormes primes qu’on leur octroie ?

Je ne dis pas que les gens de la Caisse ne travaillent pas fort, qu’ils ne vivent pas un stress quotidien à suivre les aléas des marchés, qu’ils sont incompétents. Ce que je dis – et mon propos ne vise pas seulement la Caisse –, c’est qu’on verse aux gens de la finance d’énormes rémunérations, sans commune mesure avec celles des autres secteurs de l’économie, pour des motifs souvent indépendants de leur volonté.

Et que ce phénomène qui dure depuis des années n’est pas sain pour l’économie, comme le disait encore récemment Mark Carney, l’ex-gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, lors d’une conférence organisée par l’Université de Montréal.

Jeu de prédictions

Oh, un petit mot sur le concours de La Presse Affaires auprès des membres de l’équipe, que j’organise chaque année. Les journalistes de la section devaient tenter d’estimer, mercredi, le rendement qu’obtiendrait la Caisse de dépôt cette année, qui s’est avéré être de 7,7 %.

Sur les 10 participants, les rendements prévus allaient de - 3,5 % à 9 %, avec une moyenne de 5 %. Et j’ai l’honneur de vous annoncer que le gagnant, avec une prévision de 8 %, est… Francis Vailles ! André Dubuc a terminé deuxième, à 8,5 %.

Je n’ai pas triché, je vous jure…