Il porte un nom qu’on imagine issu de la vieille aristocratie française. Mais Henri Poupart-Lafarge n’a ni le look, ni les manières, ni la condescendance qu’on pourrait y associer.

Au cours de l’entrevue virtuelle qu’il m’a accordée, le grand patron de la multinationale Alstom – nouveau propriétaire de Bombardier Transport – était vêtu simplement, sans cravate, buvant de l’eau dans une bouteille de plastique. Et ses réponses à mes questions n’étaient ni ampoulées ni prétentieuses.

Henri Poupart-Lafarge a plutôt l’allure d’un ingénieur issu de Polytechnique – ce qu’il est –, bien que sa famille baigne dans les affaires depuis longtemps. Son père Olivier, entre autres, était le numéro 2 du géant français Bouygues quand cette entreprise familiale a fait une entrée marquante au capital d’Alstom, en 2006.

PHOTO THOMAS COEX, AGENCE FRANCE-PRESSE

Henri Poupart-Lafarge est le PDG d’Alstom, propriétaire de Bombardier Transport

Bref, l’image conviviale du PDG de 51 ans colle bien à une entreprise de transport sur rail qui est désignée « Top Employer » dans 14 pays, notamment au Canada, pour la qualité de son environnement de travail.

Henri Poupart-Lafarge aura néanmoins un bon défi avec Bombardier Transport. Alstom a promis aux actionnaires des synergies – lire compressions – de 400 millions d’euros d’ici 4 à 5 ans. L’effort aura beaucoup lieu en Europe, notamment en Allemagne, doit-on comprendre, où Bombardier Transport avait son siège social.

Bombardier Transport, faut-il savoir, a eu de sérieux problèmes d’exécution le cadre de certains contrats. Et ses états financiers présentaient une trésorerie nette négative au 31 décembre 2020, à quoi s’ajoutent d’autres ajustements, ce qui retranche 1,1 milliard d’euros au prix de vente final de 5,5 milliards d’euros, indique le communiqué d’Alstom.

En bouclant la transaction, Alstom a répété que le « siège social des Amériques sera à Montréal » (Saint-Bruno-de-Montarville), plutôt qu’à New York. La promesse faisait partie de la transaction avec le deuxième actionnaire de Bombardier Transport, soit la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui devient actionnaire à 17,5 % d’Alstom, devant Bouygues (6 %).

Au cours de l’entretien, Henri Poupart-Lafarge a été plutôt vague lorsque nous lui avons demandé comment il entrevoyait l’implantation du siège social montréalais, le déménagement.

« Un grand nombre des équipes sont déjà à Montréal, avec Bombardier. Ils continueront à faire le travail. Et des gens qui sont à Montréal auront des fonctions globales du groupe Alstom », a expliqué M. Poupart-Lafarge, disant ne pas avoir l’intention d’y rapatrier les employés de New York ni de fermer le siège new-yorkais.

« Ça peut être un peu des deux. Et la notion de siège social est devenue plus floue de nos jours. Les gens travaillent de chez eux », a dit le PDG, qui répondait à nos questions depuis ses bureaux du siège social mondial d’Alstom, à Saint-Ouen-sur-Seine, près de Paris.

Les bureaux de New York comptent une douzaine d’employés, qui travaillent dans les affaires juridiques, les ventes et les communications.

L’absorption de Bombardier Transport arrive dans un contexte où Joe Biden veut renforcer le Buy American Act, qui concerne les projets financés par le gouvernement fédéral dans les secteurs des ports, des aéroports et du matériel roulant, notamment. Le Buy American Act exige qu’au moins 70 % des composantes d’un contrat soient faites sur le sol américain.

Le gouvernement Biden compte injecter 400 milliards US dans les infrastructures pour relancer l’économie et il veut s’assurer que cet argent profite aux travailleurs syndiqués américains (good paying union jobs).

L’intention de Joe Biden n’effraie pas Henri Poupart-Lafarge.

L’élection de l’administration Biden est une bonne nouvelle pour nous. Elle marque un tournant vers l’environnement. Joe Biden a exprimé son soutien envers le ferroviaire. Biden est un fan du train.

Henri Poupart-Lafarge, PDG d’Alstom

Certes, le Buy American Act sera renforcé, mais Alstom répond entièrement à ses exigences, dit-il. Il y a quelques jours, Alstom a d’ailleurs passé avec succès un audit à ce sujet concernant le TGV Washington-Boston, qui devrait entrer en service fin 2021.

Sur la page américaine du site internet d’Alstom, l’entreprise indique que ses voitures de train peuvent être produites avec 95 % de contenu local, grâce à son réseau de plus de 500 fournisseurs aux États-Unis.

Oui, mais alors, ne faut-il pas craindre pour la recherche et développement produite à Saint-Bruno, au Québec ?

« Pas du tout. Rien dans le Buy American Act n’empêche que l’ingénierie et le design soient faits à l’extérieur, comme à Montréal », dit M. Poupart-Lafarge, qui souhaite que l’équipe de Saint-Bruno soit très impliquée dans le design de nouveaux produits.

La situation est différente pour l’usine de La Pocatière, qu’on sait fragile. Les visées protectionnistes américaines existaient déjà avant l’arrivée de Joe Biden et l’usine du Bas-Saint-Laurent est donc vouée au marché canadien.

Les employés y sont inquiets ? « Je comprends, j’entends. Nous sommes très partenaires avec les gouvernements et les autorités locales. Il y a des projets à Montréal, à Québec, à Vancouver… Il faut voir l’adéquation. Je ne suis pas inquiet », a-t-il dit pour l’essentiel.

Une grande page est tournée pour Bombardier. Espérons que ce triste passage annonce tout de même des jours radieux.

— Avec des renseignements tirés de l’Agence France-Presse