Un sofa, cinq ingrédients
La recette est la même depuis 60 ans. Meubles Re No fabrique des fauteuils, des sofas et des causeuses de qualité avec le même ingrédient de base : une main-d’œuvre expérimentée. « Le secret, c’est la main-d’œuvre », révèle Christian Massicotte, dont le grand-père a jeté les bases de l’entreprise en fabriquant des pupitres d’écoliers en bois.
L’atelier, magasin et salle d’exposition installés à l’ombre du Stade olympique perpétue cette activité ancienne et encore pas mal artisanale, malgré l’évolution des outils et de la technologie.
Faire un sofa ou une causeuse, ça prend plusieurs autres ingrédients. D’abord du bois. « De l’érable massif », précise Christian Massicotte, qui fait affaire avec le même fournisseur depuis des lustres. Puis, des sangles pour l’assise, de la mousse ou des plumes pour le rembourrage et du tissu de recouvrement.
Les sangles et le tissu de recouvrement ne se trouvent pas au Québec, indique M. Massicotte. Ni le cuir pour ceux qui en veulent. « Le meilleur cuir vient de Suède, et le tissu le moins cher vient de Turquie. »
Des plans jusqu’à la finition, la causeuse standard la plus vendue chez Re No nécessitera 75 opérations différentes. Son prix de vente : environ 3000 $.
En tenant compte seulement des composantes, le contenu local de la causeuse la plus demandée chez Re No tourne autour de 70 %. « Mais la main-d’œuvre explique 60 % du coût d’un sofa », précise Christian Massicotte, qui n’est pas gêné d’affirmer que le contenu local des meubles fabriqués sur la rue Charlemagne varie entre 80 et 90 %. Ils coûtent plus cher que chez IKEA, mais ils sont de meilleure qualité et vont durer plus longtemps, assure-t-il.
Ça nous arrive de recouvrir des meubles fabriqués ici il y a 30 ans. Ça vaut la peine parce que la base et l’assise sont comme neuves.
Christian Massicotte
Les fabricants québécois
Le nombre de fabricants de meubles a diminué au Québec en raison de la concurrence des pays où la main-d’œuvre est moins chère, mais ceux qui restent se portent très bien, affirme Gilles Pelletier, président-directeur général de l’Association des fabricants de meubles du Québec, qui compte 200 membres.
Ils tirent leur épingle du jeu autant dans le haut de gamme que dans le prêt-à-assembler, ajoute-t-il.
Pour s’afficher comme un fabricant de meubles québécois, il n’y a pas de contenu local minimal. Il n’y a pas de règle en ce qui concerne le contenu minimal. « Il n’y a pas de critères officiels, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y en aura jamais. »
Une capacité qui s’atrophie
Au Québec, comme ailleurs dans les pays industrialisés, la capacité de fabrication diminue depuis plus de 50 ans. Plusieurs facteurs expliquent cette tendance à la baisse. Un de ceux-là est l’augmentation de la demande pour les services et la délocalisation des activités manufacturières vers les pays où le coût de la main-d’œuvre est plus bas.
Le secteur manufacturier est un moteur de croissance puissant pour l’économie, en raison des investissements, des emplois et des exportations qu’il génère. Si plusieurs pays ont pu maintenir et accroitre leur capacité manufacturière, comme l’Allemagne, celle du Québec poursuit son déclin. Il y a 20 ans, le secteur manufacturier québécois comptait encore pour 23,6 % du produit intérieur brut (PIB), soit le total des biens et services produits dans la province. Cette part est actuellement de quelque 13 %.
Un puzzle de 84 pièces
Il y a très exactement 84 pièces qui entrent dans la fabrication d’un thermostat intelligent comme celui que propose Hilo, filiale d’Hydro-Québec.
L’outil qui sert à gérer la consommation d’électricité est fabriqué par Stelpro à son usine de Shawinigan. Il est vendu sous la marque Hilo, commercialisée par Hydro-Québec, et le sera bientôt avec la marque de Stelpro, Allia.
De ces 84 pièces, 28 % proviennent du Québec, explique Stéphane Lettre, directeur du marketing stratégique de Stelpro. Ce contenu québécois est composé, par exemple, de moulages de plastique et de carton d’emballage.
Les composantes électroniques qui sont au cœur du thermostat sont toutes importées d’Asie. Ce sont des diodes, des résistances et autres pièces électroniques qu’on ne peut pas trouver ici.
On tente le plus possible de s’approvisionner localement.
Stéphane Lettre
Les composantes importées représentent 72 % des 84 pièces qui, une fois assemblées, deviennent un thermostat intelligent. Stelpro appose pourtant un « fait au Québec » sur ses produits.
« La valeur ajoutée localement représente 57 % du prix du produit », explique Stéphane Lettre. Et ça ne tient pas compte du design réalisé ici par Stelpro, ajoute-t-il.
Le thermostat intelligent de Stelpro se vend autour de 100 $.
« Fait au Canada »
Stelpro appose la mention « Fait au Canada » sur les produits qui sortent de ses deux usines, à Shawinigan et à Saint-Bruno-de-Montarville. Depuis 35 ans, l’entreprise qui fabrique des appareils est devenue un leader dans son secteur en Amérique du Nord. Stelpro compte parmi ses concurrents des géants comme Honeywell, qui assemble ses produits dans des pays où la main-d’œuvre est moins chère, comme le Mexique ou la Chine.
« Nos produits sont vendus à des prix compétitifs par rapport aux concurrents », assure Stéphane Lettre, directeur du marketing stratégique de Stelpro.
Il n’existe pas de règles précises pour pouvoir s’afficher comme fabricant local. Selon le Bureau de la concurrence du Canada, il faut que 51 % des coûts directs de production aient été engagés au Canada pour qu’un produit puisse porter l’étiquette « Fait au Canada ».
Le dernier des fabricants
Quand Devinci a vu le jour au Saguenay il y a 30 ans, les vélos faits au Québec étaient déjà peu nombreux et leurs fabricants survivaient grâce aux tarifs douaniers qui les protégeaient de la concurrence étrangère. Ils sont tous disparus aujourd’hui, à part Devinci, le dernier des fabricants.
Avec le temps, l’entreprise de Félix Gauthier a grossi et ses vélos roulent maintenant sur les routes du Canada, des États-Unis et de l’Europe. Ils sont une centaine d’employés à faire vivre la marque.
« Ce n’est pas facile, mais on essaie de garder un équilibre entre mettre le plus de contenu local dans nos vélos et garder nos prix concurrentiels », résume Francis Morin, son directeur général.
Pour y arriver, l’entreprise doit investir dans la recherche-développement et dans l’automatisation. C’est un combat permanent.
Le dernier-né de la famille, un vélo d’hiver nommé Minus, est un bon exemple de ce qu’il est possible de faire au Québec. Son cadre est fait d’aluminium, un métal produit localement au Saguenay, mais qui doit faire un détour par l’Asie pour revenir sous forme de tubes hydroformés, qu’on ne fabrique pas ici.
Les cadres sont soudés et peints dans les ateliers de Devinci à Chicoutimi, ceux-là mêmes où ont été fabriqués les BIXI.
Un vélo est un produit d’une grande complexité. Il y a plus de 100 composantes qui entrent dans la fabrication du Minus, précise David Régnier-Bourque, directeur du développement des affaires chez Devinci. Ce sont des dérailleurs, des pneus, des freins et des boulons qui sont tous, sans exception, fabriqués en Asie. Toutes ces composantes ont été choisies et fabriquées selon les spécifications de Devinci.
Les pièces de ce puzzle sont ensuite assemblées, et le produit final est mis dans une boîte pour être acheminé aux détaillants. Le prix de vente du premier vélo d’hiver produit au Québec : 1559 $. La part du contenu local est précisément de 73,7 %, a calculé l’entreprise.
On compétitionne avec les vélos faits en Asie, c’est notre plus grand accomplissement.
Francis Morin
Au moins 51 % de contenu local
Comme c’est le cas pour la plupart des autres produits manufacturiers, les vélos doivent avoir au moins 51 % de contenu local pour pouvoir porter l’étiquette « Fait au Canada ». C’est la norme du Bureau de la concurrence.
Ce n’est pas assez réglementé et pas toujours respecté, déplore Devinci. « Chez nos concurrents, il y en a qui se targuent de fabriquer localement alors que ce n’est pas le cas », dit David Régnier-Bourque, directeur du développement des affaires chez Devinci.
L’entreprise saguenéenne a choisi la transparence. Tous ses vélos sont identifiés selon leur origine : ils portent la mention « Fabriqué à la main au Canada », « Conçu et assemblé au Canada », ou « Conçu au Canada », selon le cas.