L’intention du nouveau président américain Joe Biden a été clairement libellée dans son programme électoral. Il souhaite renforcer certaines dispositions du Buy American Act et en élargir l’application à de nouveaux secteurs d’activité. S’il faut craindre un resserrement du protectionnisme américain au cours du nouveau cycle présidentiel démocrate qui s’amorce, on peut au moins espérer qu’il se fasse de façon mieux structurée et plus rationnelle que ce que nous avons vécu sous Donald Trump.

La vie est un éternel recommencement, dit-on, et l’élection d’un nouveau gouvernement démocrate à Washington ravive les appréhensions d’un durcissement des tensions commerciales entre le Canada et les États-Unis.

On le sait, par essence, le Parti démocrate aux États-Unis a toujours été plus protectionniste que son grand rival républicain. Les liens historiques qui unissent ce parti aux grandes centrales syndicales ont teinté son positionnement commercial et favorisé d’abord et avant tout la défense des intérêts économiques américains.

L’élection de Donald Trump et sa croisade incessante en vue de redonner toute sa puissance d’antan aux États-Unis sont venues passablement ébranler cet état de fait. L’administration Trump a rouvert et renégocié l’accord de libre-échange nord-américain, imposé sans aucun discernement des tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium canadiens et s’est lancée dans une guerre commerciale impitoyable contre la Chine et certains de ses partenaires européens.

Si les positions extrêmes de Trump ont érodé le monopole du protectionnisme du Parti démocrate, le nouveau gouvernement dirigé par Joe Biden n’est pas devenu le chantre du libre-échangisme pour autant et il faut s’attendre à ce que la nouvelle administration mette en application certaines des promesses formulées durant la campagne électorale.

Joe Biden a notamment prévu réaliser des dépenses de 700 milliards pour renforcer les entreprises manufacturières et de technologies américaines avec des achats de produits, de matériaux et de services.

Mises à part ces nouvelles dépenses ciblées au profit de fournisseurs locaux, on ne sait pas encore si le nouveau gouvernement démocrate voudra ajouter de nouvelles contraintes aux exportateurs canadiens, mais le mouvement même de l’histoire ne semble pas vouloir le conduire dans cette avenue.

L’intégration continentale

Depuis la ratification du premier traité de libre-échange avec les États-Unis, en 1988, les chaînes d’approvisionnement entre le Canada et les États-Unis se sont consolidées de façon importante alors que des composantes, des matériaux et même des services traversent indistinctement et de façon continue les deux frontières.

Le Buy American Act existe depuis 1933 et les entreprises manufacturières québécoises ont appris à vivre avec les contraintes que cette loi a induites pour la réalisation de travaux financés par le gouvernement américain.

À titre d’exemple, Bombardier a dû ouvrir des usines aux États-Unis pour pouvoir y vendre des voitures de train et de métro ; pour construire des ponts en poutrelles d’acier, Canam a dû faire de même ; le groupe Marmen de Trois-Rivières va construire une nouvelle usine dans l’État de New York pour participer au programme de parc éolien dans l’Atlantique ; CGI a multiplié les acquisitions sur le sol américain pour devenir l’un des principaux fournisseurs de technologies de l’information du gouvernement américain…

La majorité des entreprises manufacturières québécoises qui fabriquent des pièces ou des composantes pour des clients américains ne sentent pas la menace protectionniste tellement elles sont devenues un maillon indispensable de la chaîne d’approvisionnement.

« Les dirigeants de Boeing ne seraient pas très heureux que l’on fasse l’objet de représailles et que cela affecte la production du 777. Ça fait près de 40 ans qu’on fait affaire avec Boeing. Dans le secteur militaire, on est même considérés comme une source [intérieure] », me rappelle Gilles Labbé, président exécutif du conseil du constructeur de trains d’atterrissage Héroux-Devtek.

Cela dit, nos relations commerciales avec les États-Unis vont continuer d’être affectées par la réalité politico-économique américaine, comme nous le rappelle de façon systématique le contentieux sur le bois d’œuvre.

« Il va falloir être vigilant, souligne Catherine Loubier, la déléguée commerciale du Québec à New York. Il va toujours y avoir une municipalité, une région, un gouverneur qui va demander une intervention du gouvernement américain. On va devoir être au-devant de la parade pour rappeler constamment à nos partenaires américains combien notre relation est importante pour chacune des parties. »

« On a des alliés comme la Chambre de commerce des États-Unis qui partage tout à fait notre vision d’une économie intégrée et qui estime que le Buy American Act ne devrait pas s’appliquer au Canada. On va maintenir le niveau d’alerte qui prévalait durant la renégociation de l’accord de libre-échange », anticipe la déléguée générale.

L’éviction tant souhaitée de Donald Trump de la présidence américaine a soulagé une grande majorité de Québécois et elle annonce certainement une période de prévisibilité beaucoup plus saine dans nos relations avec notre principal partenaire commercial.

Cette nouvelle étape ne pourra pas toutefois éradiquer totalement la trivialité économique qui malheureusement trouvera toujours un moyen ou une voie pour s’exprimer.